Écho de presse

1897-1899 : la ruée vers l'or du Klondike

le 28/05/2018 par Pierre Ancery
le 27/12/2017 par Pierre Ancery - modifié le 28/05/2018
Construction de navires sur le lac Bennett, 1897-1898 - source WikiCommons

En 1896, de l'or est découvert dans le Grand Nord canadien. Dans les années qui suivent, 100 000 prospecteurs vont braver la mort pour tenter de trouver eux aussi le précieux métal. En vain, pour la plupart.

Le 16 août 1896, un événement de taille survient dans le territoire canadien du Yukon, au nord-ouest du pays. Dans l'un des affluents de la rivière Klondike, des prospecteurs américains découvrent... de l'or. À cause de l'isolement extrême de la région, le monde extérieur n'apprendra la nouvelle qu'un an plus tard, mais les conséquences seront immédiates.

 

Le 19 juillet 1897, Le Soleil rapporte :

 

« Le vapeur Portland, arrivé d'Alaska, a apporté pour plus d’un million de dollars en pépites et poudre d’or, résultat d’une campagne de trois mois [...]. Les vieux mineurs et chercheurs d'or disent que la Californie n'est rien en comparaison avec les richesses du camp de Klondike (Alaska). À Washington règne déjà la fièvre de l’or et on organise des expéditions pour l’Alaska, spécialement pour la vallée d'Yukon qui est, dit-on, remplie d’or. »

 

C'est le début d'un épisode légendaire de l'histoire américaine : la ruée vers l'or du Klondike. Entre 1897 et 1899, pas moins de 100 000 prospecteurs, Américains pour la plupart, vont se rendre dans le Yukon, affrontant un climat d'une rudesse extrême et les innombrables dangers de la nature sauvage dans l'espoir de dénicher le précieux métal.

 

En moins de deux ans, des voies de chemin de fer et des villes champignons (notamment Dawson City) vont tout à coup fleurir dans cette zone inhospitalière.

 

La presse de l'époque se passionne pour cette quête éperdue. En septembre 1897, Le Journal de l'enseignement détaille les nombreux obstacles qui attendent les chercheurs d'or sur la route du Klondike :

 

« [Le Yukon est] pris de glace pendant une grande partie de l'année, traversant des régions habitées par de rares tribus indiennes, et seulement trois ou quatre postes de blancs, la longue voie navigable qu'il offre était jusqu'ici absolument inutilisée [...]. Les forêts de la région sont parcourues par des ours noirs et bruns, auxquels on laisse le soin de frayer les sentiers [...] »

 

Et d'évoquer « un pays désert, ou parcouru seulement par quelques Indiens, des hivers de huit ou neuf mois, des moyens de communication primitifs, et quatre à six semaines de voyage vous séparant du monde civilisé ». Le Petit Parisien surenchérit :

 

« C'est encore un des plus graves inconvénients des mines du Yukon et du Klondike, cet hiver boréal au cours duquel le thermomètre se tient entre 25 et 40 degrés de froid, où le sol est recouvert d'une épaisse et dure couche de neige glacée. Et durant six mois, toute cette zone demeure plongée dans la nuit polaire, et les conquérants de l'or sont obligés de rester tapis, comme des bêtes frileuses, au fond des misérables huttes de bois qu'ils se sont construites avant la mauvaise saison. »

 

Le Figaro parle quant à lui de la véritable folie collective qui s'est emparée des aventuriers en partance pour le Yukon :

 

« Jamais, paraît-il, la fièvre de l'or ne s'était manifestée avec une telle violence. Ce qui se passait jadis en Californie et ce qu'on a vu plus récemment au Transvaal ne peut pas donner une idée de la rage avec laquelle on se précipite vers les champs d'or du Yukon. Le mouvement prend de telles proportions que le gouvernement canadien cherche à l'arrêter ; il redoute, en effet, que toute cette population arrivant dans un pays stérile et manquant de voies de communication rapides n'ait pas d'approvisionnements suffisants et soit bientôt menacée de famine. »

 

En décembre 1898, Le Petit Parisien, qui a recueilli le témoignage d'un Français parti sur place, raconte l'éprouvante vie quotidienne de ces émigrés :

 

« Les corvées qu'ils s'imposent dépassent l'imagination. On en voit qui traversent les neiges des cols en pliant sous le poids des plus lourds bagages. Ne pouvant acheter des embarcations, ils se construisent des radeaux à l'aide desquels ils opèrent la terrible descente du fleuve.

 

Debout, seul avec son chien et sa provision de farine mouillée, sur son radeau qu’entraîne le courant rapide, cet émigrant qui passe au milieu des lames écumantes prend l'aspect d'un fantôme. Il n'y a pas d'image plus saisissante que cette vision pour traduire la folie de ces chercheurs d'or qui se jouent de leur vie [...]. »

 

Mais pour l'immense majorité, la désillusion est brutale. Sur les 100 000 chercheurs d'or partis à la conquête du Grand Nord, 30 ou 40 000 arriveront effectivement dans les champs aurifères. Parmi eux, seuls 4 000 d'entre eux trouveront de l'or. Le XIXe siècle publie en novembre 1897 le récit désabusé d'un dénommé Oscar Ellis, de Washington :

 

« Nous sommes partis le 26 août de Saint-Michaels pour remonter le Yukon, bien qu'on nous ait conseillé là-bas de ne pas tenter l'aventure. Mon ami Georges qui était le chef de l'expédition est tombé malade et est mort en très peu de temps ; nous l'avons enterré le 2 septembre à la mission russe où nous nous sommes arrêtés [...].

 

Je n'ai jamais vu gens plus démoralisés que les passagers de notre bateau ; c'était pitié de voir ces infortunés qui avaient vendu tout ce qu'ils possédaient afin de partir à la recherche de l'or [...]. J'ai vu dans le bassin du Yukon des mineurs qui étaient là depuis cinq, huit et dix ans et qui avaient à peine de quoi payer leur voyage de retour. »

 

En juillet 1898, un vicaire d'une congrégation du Yukon témoigne lui aussi dans La Justice :

 

« Le plus grand nombre des chercheurs d'or qui se précipitent à l'aveugle vers ces contrées ne savent pas ce qui les attend. Au lieu de la fortune, ils ne trouveront que la misère, la souffrance et la mort. Le district de Yukon est le pays le plus inaccessible et le plus inhospitalier qui soit au monde [...]. Bref, je crois qu'un grand nombre de ces chercheurs d'or tomberont victimes des fatigues, des rigueurs du climat, de la famine même. »

 

La ruée vers l'or, qui sera plus tard immortalisée par Jack London, peut s'expliquer par le contexte économique de l'époque. Les années 1890 aux États-Unis sont marquées par une série de récessions, et la tentation était grande pour de nombreux chômeurs et précaires de se lancer à la conquête du Klondike.

 

La ruée s'achèvera en 1899, lorsque le rêve illusoire d'un « nouvel Eldorado » finira par se heurter à la réalité.