Écho de presse

L'authentique histoire du « vrai pastis de Marseille »

le 02/08/2022 par Marina Bellot
le 30/04/2018 par Marina Bellot - modifié le 02/08/2022
« Garçon ! Un Ricard c'est le soleil de Marseille », affiche publicitaire - source : Gallica-Bibliothèques de Paris

Devenu un apéritif incontournable à la faveur de l'interdiction de l'absinthe, le « vrai pastis de Marseille » de Paul Ricard s'est imposé dans l'Hexagone, à grand renfort de publicités vantant ses fantaisistes bienfaits pour la santé.

En pleine Première Guerre mondiale, l’alcoolisme est considéré comme « l'autre danger » qui menace la France : en 1914, tout alcool dont le taux excède 16° est donc interdit pour limiter leur consommation par les soldats. L’absinthe, breuvage qui titre à plus de 60°, est interdite un an plus tard.

Les accros à la fée verte lui cherchent alors un substitut ; ce sera le pastis, boisson traditionnelle provençale, dont les arômes sont comparables à l'absinthe.

La consommation du pastis se développe dès lors à vitesse grand V, et d’autant plus qu’en 1920, l'État rétablit l'autorisation des consommations anisées dont le degré d'alcool est inférieur à 30°, avant de le relever, en 1921, à 40°.

Une véritable frénésie s'empare alors de la Provence, où tous les bars vendent du pastis de plus ou moins bonne qualité. Chaque marque personnalise ses recettes en ajoutant à l'anis d'autres plantes aromatiques telles que le fenouil, l'anis vert ou encore la réglisse.

Un producteur se démarque : Paul Ricard, qui tient rapidement le haut du pavé. L’entrepreneur marseillais sait y faire : ancien élève des Beaux-Arts, il s’investit personnellement pour faire connaître sa marque en dépit des obstacles. 

En 1932, il dessine lui-même l'étiquette du Ricard, avec l'idée que même un illettré soit capable de l’identifier immédiatement. Son slogan, « Ricard, le vrai pastis de Marseille », apparaît cette année-là. 

Un très large réseau de distribution permet à ses ventes de décoller et il devient dans les années 1930 le premier vendeur de pastis, au détriment de son concurrent Pernod. 

L’immense succès populaire du « vrai pastis de Marseille » est aussi acquis à grand renfort d’invraisemblables publicités, vantant ses supposés bienfaits pour la santé.  

« Vive le Ricard”, dit le docteur 

L'anis présentant les propriétés bien connues en Médecine de combattre les flatuosités et la dyspepsie, et ne présentant au surplus aucun effet nocif. [...]

Voilà pourquoi le vrai pastis de Marseille n’est pas seulement l’apéritif de bonne humeur, mais aussi et surtout l’apéritif de bonne santé. »

En 1936, la France du Front populaire découvre les congés payés et Paul Ricard profite des nombreux vacanciers qui affluent en Provence pour faire connaître sa recette. L’engouement pour le pastis s’accroît dans la France entière.

En 1938, Ricard peut se targuer d'avoir conquis la région parisienne. Dans un message à caractère publicitaire informatif, relayé par l'ensemble de la presse parisienne, il s'adresse directement aux lecteurs :  

« Trois mois ont suffi pour que 23 375 cafés de Paris et banlieue deviennent nos clients... déjà fidèles.  [...]

D'abord, il était normal que l'amateur d'anis retrouve avec joie le bon, le vrai pastis d'avant-guerre : celui dont il était privé depuis des années et des années. [...]

Même le docteur ne pouvait qu'approuver la renaissance du “vrai pastis de Marseille”, puisque la Faculté de médecine avait donné, préalablement, un avis unanimement favorable. 

Et c'est ce qui explique pourquoi certains amateurs consomment facilement 12 à 15 Ricard dans la journée sans éprouver ni maux de tête, ni maux d'estomac. Quel apéritif offre de tels avantages ? »

En 1938, alors que l'État autorise la production et la vente de pastis et boissons anisées titrant 45° (contre 40° jusqu'alors), des voix s'élèvent pour dénoncer la forte augmentation de la consommation d'alcool en France. Et le pastis est particulièrement visé.

La riposte de Paul Ricard ne se fait pas attendre : l'entrepreneur fait paraître dans les journaux une pleine page de communication, sous le titre « La vérité s’il vous paît ! »

« Certaines personnalités vont jusqu'à déclarer, le plus sérieusement du monde, que, depuis le 45°, l'alcoolisme augmentait en France, la consommation de l'alcool ayant augmenté.

Or, ce que ces Messieurs ignorent c'est que, si la consommation de l'alcool a effectivement augmenté, c'est uniquement pour la bonne raison que, depuis le 45°, il n'y a plus de fraudes. Cette fraude qui permettait la fabrication d'anis avec des alcools plus ou moins bien rectifiés, échappant au contrôle de l'État. »

Pour comprendre les ressorts d’un tel succès, Ce soir fait paraître en 1939 un publi-reportage façonné à Marseille, berceau du pastis – « la troisième merveille de Marseille après la Bonne Mère de Notre-Dame de la Garde et la Bouillabaisse », selon la formule des habitants de la cité phocéenne. Dans celui-ci, pour lequel il a payé, Paul Ricard peut à nouveau vanter les mérites de son breuvage :

« Ce succès, monsieur, est dû à ce seul fait que le Ricard n'est pas un de ces produits de laboratoire que l'on impose au consommateur, à coup de réclame tapageuse.

Le Ricard, je puis dire, est né d'un grand référendum gustatif que je fis dans le Midi, paradis du pastis. Mon père tenait d'un vieux braconnier de Manosque une recette de pastis, déjà excellente.

Mais, durant des semaines et des semaines je l'ai, aidé de mon frère Pierre, laborieusement mise au point, devant des centaines de comptoirs, de bars et de cafés de toutes les régions du Midi : c'est pourquoi je puis dire que ce sont mes compatriotes eux-mêmes qui m'ont dicté la formule actuelle du vrai pastis de Marseille. »

Depuis lors, le pastis demeure un apéritif prisé des Français, en particulier dans le sud de la France. Et parmi ses nombreuses recettes, celle du Ricard tient toujours le haut du pavé.