Écho de presse

Après-guerre, les « pin-up » provoquent la répulsion des journaux progressistes

le 29/09/2020 par Priscille Lamure
le 13/03/2019 par Priscille Lamure - modifié le 29/09/2020
L'actrice, danseuse, et « pin-up » Rita Hayworth dans L'Intransigeant, 1935 - source : RetroNews-BnF
L'actrice, danseuse, et « pin-up » Rita Hayworth dans L'Intransigeant, 1935 - source : RetroNews-BnF

À la fin des années 1940 les « pin-up » débarquent en France, où elles reçoivent un accueil glacial : entre dénonciation de la corruption des mœurs et critique du modèle capitaliste, les journaux de gauche récusent cette démonstration d’« arrogance américaine ». 

Un corps aux mensurations parfaites, des jambes interminables, une crinière soigneusement domptée et un regard de velours : voici le cliché fantasmé qu’incarne la « pin-up », une représentation idéalisée de la femme qui voit le jour aux États-Unis dans la première moitié du XXe siècle.

Quelques décennies plus tôt, à la fin du XIXe siècle, les premiers magazines érotiques avaient fait leur apparition dans la presse américaine, ainsi qu’en Europe. L’invention de nouvelles techniques d’impression et la photo-mécanisation des images avaient alors permis la diffusion massive de photographies suggestives pour le plus grand plaisir de la gent masculine.

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À l’issue de la Première Guerre mondiale, les soldats américains rapportèrent outre-Atlantique le souvenir ému des joyeuses french girls rencontrées près du front – c’est notamment ainsi que les jolies Parisiennes et les danseuses effrontées des quartiers de plaisir de la Ville Lumière servirent d’inspiration aux premiers photographes et dessinateurs de « pin-up » américains tel le célèbre Alberto Vargas. Ces artistes cherchent alors à immortaliser la femme  dite idéale sous la forme de reines du glamour, à la fois femmes libérées et coquettes. Elles sont ainsi représentées dans des tenues légères (souvent en maillot de bain), prenant des poses lascives ou au moins aguicheuses qui semblent autoriser le spectateur masculin à laisser libre cours à ses fantasmes.

Mais c’est seulement en 1940 qu’apparaît le mot « pin-up » – littéralement « fille qu’on épingle » –, pour qualifier les photographies et dessins sensuels qui se retrouvent épinglés aux murs des chambres d’adolescents américains et que leurs pères s’échangent sous le manteau.

Lorsque les États-Unis entrent en guerre en 1941, les boys emportent avec eux certaines de ces images réconfortantes. La célèbre « pin-up » Betty Grabble est même représentée sur la carlingue de certains avions et devient la mascotte des aviateurs de l’US Air Force.

Quelques-unes des plus jolies « pin-up » font ensuite une carrière à Hollywood. On les retrouve dans le même temps sur des cartes postales, des calendriers et dans la presse illustrée. C’est ainsi que la mode des « pin-up » débarque en France, notamment dans les valises des voyageurs comme le raconte au journal socialiste L’Émancipateur un Français de retour des États-Unis :

« Les quelques livres que j’avais dans mon bagage ont été scrupuleusement et sévèrement examinés par la douane à l’arrivée du paquebot. Je ne sais pourquoi, mais ils voulaient absolument découvrir des photos libertines.

Je me suis souvenu de cette insistance en voyant dans les kiosques et librairies un nombre important de revues et magazines ultra-légers et j’ai été obligé de reconnaître que le conseil d’administration des universités américaines est moins puritain que la douane, puisque chaque étudiant peut trouver dans le hall de l’hôtel de son université, à côté d’autres publications et revues, ces mêmes journaux licencieux et peut notamment y acheter pour l’accrocher dans sa chambre un magnifique calendrier où chaque mois est symbolisé par une pin-up dénudée et dans une position suggestive. »

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, ces belles actrices hollywoodiennes légèrement vêtues apparaissent à leur tour dans la presse française, dans des revues aux couvertures affriolantes. Dans l’Hexagone, on appelle « pin-up girls » ces femmes qui incarnent le fantasme du rêve américain – l’american way of life – et qui font rêver nombre de jeunes Françaises et Français tout juste sortis des sinistres années d’Occupation.

En janvier 1946, dans un article intitulé « La mode à New York », le journal communiste Regards présente une photographie de l’actrice Angeline Orr posant en « pin-up » et décrit, à l’attention des lecteurs français, cette nouvelle image de la femme venue des États-Unis :

« Depuis la guerre, une véritable industrie de “pin-up” a permis au G.I. d’entretenir la nostalgie des charmes féminins “nationaux” qu’il venait de quitter. La “pin-up” est un mélange de gamine et de vamp aux jambes impeccables. Sa chevelure est lourde et éblouissante. [...]

Les “pin-up” sont les mannequins du déshabillé, une publicité éloquente pour les coiffeurs et les instituts de beauté.

Selon elles, toutes les Américaines ont des cheveux enviables qu’elles portent, du reste, coiffés de la façon simple et plate de la coiffure dite “américaine”, telle que nous le déconseillent nos coiffeurs. »

Or, jusqu’alors en France, l’idéal féminin est celui de la femme au foyer, de la mère de famille consacrant son temps entre les tâches domestiques et l’éducation de ses enfants. C’est cette image empreinte de conservatisme d’une femme élégante-mais-qui-se-doit-de-rester-classique, que la presse féminine mettait à l’honneur.

Au contraire, la « pin-up » est présentée comme une « femme-objet », créature plantureuse dont la plastique parfaite est dévoilée aux regards et dont la seule utilité est de susciter le désir. Et ce fait ne manque pas de provoquer l’ire des puritains et des institutions cléricales.

En témoigne un article amusé intitulé « À propos des femmes nues » paru dans le communiste Éclaireur de l’Ain en 1948, mettant au jour un certain conservatisme de gauche :

« M. l’abbé Mondessert est à bon droit choqué par la débauche de “femmes nues” dans les magazines “cochons”.

Fait-il allusion à l’hebdomadaire radical de l’Ain. Je ne le pense pas. Quoique la pin-up soit bien portée dans ce milieu.

M. l’abbé proteste au nom du respect dû à la femme. Ajoutons : et aux enfants. Et ajoutons aussi, puisque M. l’abbé ne le dit pas, que ces magazines cochons sont presque tous made in USA et participent de l’entreprise de démoralisation de notre pays. »

Plusieurs voix s’élèvent encore pour dénoncer une corruption des mœurs de la jeunesse à travers l’image de la « pin-up » véhiculée dans par Hollywood, nouveau symbole du capitalisme international.

Dans un autre numéro de L’Émancipateur de l’Ain, rapportant les propos d’une représentante de l’Union de la Jeunesse Républicaine de France, la « pin-up », aux côtés d’Henry Miller, serait l’outil d’une « propagande dégradante » destinée à asseoir la domination capitaliste américaine :

« [Les] principaux responsables, [les] entrepreneurs essentiels de la démoralisation [sont] : les films et les journaux américains, les romans de Miller et les Reader’s Digest.

Voilà ceux qui tentent de hisser le gangster et la pin-up girl sur le pavois des modèles à proposer à notre jeunesse. Ils savent bien qu’en dévoyant les jeunes Français et Françaises ils facilitent l’asservissement total de notre pays à leur domination et à leurs visées guerrières. »

Quelques semaines plus tard, L’Aube, journal socialiste, soulève lui aussi  son bouclier contre l’invasion des « pin-up », en les assimilant aux armes de destruction massive de l’armée US. Ainsi, pour le rédacteur, « gangsters, pin-up girls, bombes et mitraillettes doivent disparaître des publications offertes à la jeunesse » :

« Pour la meilleure santé morale et physique des enfants, et ne serait-ce que pour épargner leurs nerfs déjà si dangereusement ébranlés par les temps anormaux, la “guerre” est déjà déclarée à la bombe et à la mitraillette.

Nous ne voulons plus [...] de ces images qui engendrent l’horreur, la crainte, le cauchemar et l’angoisse morbide : pas de fausse science et d’illogisme qui désorientent le jugement : plus de supermen, de gangsters, de pin-up girls à l’usage de nos jeunes. »

Toutefois, les années 1950 constitueront l’âge d’or de la « pin-up » en France, notamment grâce à l’interprétation de Brigitte Bardot dans le film La Lumière d’en bas, en 1955. Dès lors les apparitions d’égéries « pin-up » seront de plus en plus fréquentes au cinéma et dans la publicité.

Avec la révolution sexuelle et la libération des mœurs à l’œuvre à la fin des années 1960, la figure de la « pin-up » contredira définitivement les journaux de gauche des années 1940 et sera désormais érigée en icône féministe. Néanmoins, l’essor de magazines pornographiques à la même époque signera également son irrémédiable déclin.

Pour en savoir plus :

Camille Favre, « La pin-up US, un exemple d'érotisme patriotique », in: Clio. Histoire, femmes et sociétés, 2012

Dany-Robert Dufour, « Le tournant libidinal du capitalisme », in: Revue du MAUSS, 2014