Écho de presse

7 août 1930 : deux Afro-Américains lynchés dans l'État d'Indiana

le 06/08/2023 par Marina Bellot
le 12/11/2019 par Marina Bellot - modifié le 06/08/2023
Les habitants de Marion jubilant à la suite de l'exécution en place publique de deux hommes innocents, 1930 - source : WikiCommons
Les habitants de Marion jubilant à la suite de l'exécution en place publique de deux hommes innocents, 1930 - source : WikiCommons

Le 7 août 1930, deux Afro-Américains accusés d'avoir tué un Blanc dans le Midwest rural sont pendus par une foule ivre de vengeance. Un drame parmi d'autres mettant en lumière l'infâme condition des Noirs aux États-Unis dans le premier XXe siècle.

Dans la torpeur du mois d’août 1930, une nouvelle macabre en provenance des États-Unis parvient en France : Thomas Shipp et Abram Smith, deux jeunes Noirs accusés d’avoir assassiné un ouvrier blanc et violé sa fiancée, viennent d'être lynchés et pendus par une population « ivre de fureur ».

Les faits se sont déroulés à Marion, dans l’Indiana, un État historiquement marqué par l’influence du Ku Klux Klan (KKK), l'organisation suprémaciste encourageant à la haine des Noirs.

Le 9 août, Le Petit Parisien publie le récit glaçant de ce double lynchage auquel une population nombreuse, femmes et jeunes filles incluses, s'est livré. Les faits sont d'autant plus sordides que les deux jeunes hommes assassinés clamaient leur innocence depuis la prison où ils venaient d'être incarcérés – et dont ils ont été extirpés par la foule sans autre forme de procès.

 « Mercredi soir, deux jeunes gens, Mr Claude Deeter et miss Mary Bail, faisaient une promenade sentimentale dans un sentier solitaire des environs de la ville. Soudain, deux coups de revolver furent tirés et M. Deeter tomba mort aux pieds de sa compagne. [...]

Aussitôt la nouvelle du meurtre connue, l'indignation s'empara de la population. Les femmes et les jeunes filles se firent particulièrement remarquer dans leur zèle à demander vengeance, si bien que dans la soirée de jeudi, une foule d'environ dix mille personnes armées de lourds marteaux et de barres de fer, s'élança à l'assaut de la prison dont les portes de fer furent éventrées malgré la résistance du shérif de la ville et de ses collègues, qui lancèrent des bombes à gaz contre les assaillants.

Ayant réussi à pénétrer dans la prison, la populace, ivre de fureur, se porta vers la cellule où était enfermé Smith. Le malheureux, roué de coups, fut entraîné dans la cour centrale de l'établissement et, là, pendu à une branche d'arbre.

Non contents de cette première vengeance, les assaillants, toujours poussés par les excitations des jeunes filles, retournèrent au quartier des détenus, s'emparèrent de Shipp et le pendirent à son tour aux barreaux de sa cellule.

Le troisième nègre, Cameron, fut roué de, coups et piétiné. Il aurait subi le même sort que ses deux codétenus si le shérif n'était parvenu à persuader la populace qu'il n'était pour rien dans l'assassinat de M. Deeter, mais qu'il était détenu pour une autre raison. Là-dessus, la foule se dispersa. » 

Le récit est sensiblement identique dans le quotidien à grand tirage Le Petit Journal, qui déplore ces « épouvantables lynchages » commis par une « populace démente ». 

« Le lynchage des Noirs continue » titre pour sa part LÈre nouvelle

On estime que 4 000 noirs ont ainsi été exécutés sans jugement aux États-Unis entre la fin du XIXe et la première moitié du XXe siècle.

Outre-Atlantique, la presse assure la publicité de ces lynchages, qui deviennent un véritable argument de vente : photos « choc » et textes à sensation se multiplient, donnant à voir de manière toujours plus spectaculaire la violence envers les Noirs. Les photos de scènes de torture peuvent alors s'acheter séparément et, au début du XXe siècle, des cartes postales illustrées voient même le jour...

De leur côté, les journaux français déplorent régulièrement ces crimes, tout en faisant leur la devise américaine « If it bleeds, it leads » (« Le sang, c’est vendeur »).

Le journal Le Petit Marseillais fait ainsi paraître en Une la photographie macabre des deux adolescents pendus à un arbre et entourés par la foule meurtrière, avec ce titre sans équivoque :

«​ Civilisation. »​

Pendant les dix jours qui suivront le lynchage, il se vendra plusieurs milliers de copies de cette photo.

Sept ans après le drame, l'auteur-compositeur Abel Meeropol composera, sous pseudonyme, la chanson Strange Fruit, violent réquisitoire contre le lynchage, et qui sera popularisée par la chanteuse afro-américaine Billie Holiday.

Mary Ball, la prétendue victime du viol, reconnaîtra des années plus tard que les deux jeunes hommes assassinés étaient innocents.

Pour en savoir plus :

François Durpaire, Histoire des États-Unis, chap. VI « L'Unité sans la diversité », PUF, 2012

Gilles Favarel-Garrigues et Laurent Gayer, « Violer la loi pour maintenir l'ordre », in: Politix, 2016