Écho de presse

L'affligeant destin de la « Vénus hottentote »

le 19/10/2020 par Pierre Ancery
le 02/09/2020 par Pierre Ancery - modifié le 19/10/2020
Exposée de son vivant dans des zoos humains, la Sud-Africaine Saartjie Baartman (1789-1815) fut l'objet de moqueries racistes encore longtemps après sa mort. 

Pendant l'année 1815, à la page des spectacles du Journal des débats politiques et littéraires, on trouve cette annonce :

« La Vénus hottentote se voit tous les jours, rue Saint-Honoré, n° 188. Prix : 3 fr et 2 fr. »

Qui est la « Vénus hottentote » ? Née esclave dans l'actuelle Afrique du Sud autour de 1789, Saartjie Baartman, de son vrai nom Sawtche, est issue de la tribu khoïkhoï. Son histoire, tragique, est révélatrice du regard porté par les Européens sur ce qui était alors considéré comme des « races inférieures ».

Asservie dès sa petite enfance par des fermiers boers, Sawtche est dotée d'une hypertrophie des hanches et des fesses et d'organes génitaux protubérants. En 1810, abusant de la confiance de la jeune femme, un chirurgien militaire britannique la convainc de venir à Londres en lui promettant fortune et liberté en échange de l'exhibition de son corps. Exposée dans une cage, elle y devient un phénomène de foire offert au regard, au toucher et aux quolibets d'une foule qui la surnomme « Fat Bum » (« gros cul »).

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En 1814, lorsque le public anglais se lasse de ce zoo humain, elle est envoyée dans la France de Napoléon où un montreur d'animaux exotiques fait payer pour la voir et la toucher. Elle est ensuite contrainte à la prostitution et tombe dans l'alcoolisme. Elle meurt le 29 décembre 1815 à Paris.

Le 2 janvier 1816, La Gazette nationale annonce son décès. Commence alors la longue carrière post-mortem de Sawtche :

« On s’occupe, en ce moment, dans une des ailes du Muséum d’histoire naturelle, à mouler la Venus hottentote, morte avant hier d’une maladie qui n’a duré que trois jours. Son corps n’offre aucune trace visible de cette maladie, si ce n’est quelques taches d’un rouge brun autour de la bouche, sur les cuisses et sur les reins. Son embonpoint et ses énormes protubérances n’ont pas diminué, et ses cheveux, extrêmement crépus, ne se sont point allongés, comme font ordinairement ceux des nègres dans l’état de maladie ou après la mort. La dissection de cette femme va fournir un chapitre extrêmement curieux pour l’histoire des variétés de l’espèce humaine. »

Georges Cuvier, estimant que le corps de la défunte est la preuve de l'infériorité de certaines « races », le récupère et le dissèque. Son squelette est extrait et est présenté en 1817 devant l'Académie nationale de médecine. Du corps de Sawtche, Cuvier fait en outre un moulage en plâtre dont il tire une statue. Celle-ci et le squelette sont exposés au Muséum d'histoire naturelle jusqu'en 1878 :

« Douze salles sont consacrées à l'anatomie comparée. On y conserve la précieuse collection cranologique du docteur Gall, une série de têtes des animaux vertébrés […]. Les squelettes du nain de Stanislas, de la Vénus hottentote et du fanatique Soliman-Kalébi, assassin de Kléber, y sont également conservés. »

À partir du milieu du XIXe siècle, le nom de « Vénus hottentote » revient fréquemment dans la presse. Souvent employé de façon moqueuse, il est systématiquement utilisé pour évoquer la laideur, comme sous la plume d'un journaliste de La Lanterne qui en 1896 traite Sawtche de « monstre hideux », ou sous celle de Jean Frollo qui écrit dans Le Petit Parisien en 1888 :

« A considérer l'idée que se font de la beauté les différents peuples, on trouverait des divergences bien plus caractéristiques encore la blancheur du teint passe pour un défaut sur la côte de Guinée ; les lèvres grosses et un nez écrasé y sont des beautés ; la Vénus hottentote a un visage abominable aux yeux d'un Européen et une croupe si volumineuse qu'elle peut servir de siège à un enfant. »

La statue et le squelette, désormais exposés au musée d'ethnographie du Trocadéro (futur musée de l'Homme), ne seront soustraits au regard du public qu'en 1974. La France rendra la dépouille de Saartjie Baartman à l'Afrique du Sud en 2002.