Écho de presse

Narcisse Pelletier, le mousse qui vécut dix-sept ans parmi les Aborigènes

le 16/08/2022 par Pierre Ancery
le 26/03/2021 par Pierre Ancery - modifié le 16/08/2022

En 1858, après l’échouage de son navire, Narcisse Pelletier est recueilli par une tribu du nord-est de l’Australie. Lors de son retour en France dix-sept ans plus tard, la presse multiplie les articles sur ce « sauvage blanc » revenu, bien malgré lui, de la vie parmi les Aborigènes.

Narcisse Pelletier n’a que quatorze ans lorsque son destin bascule. Nous sommes en 1858. Ce jeune natif de Saint-Gilles-sur-Vie, en Vendée, est mousse sur le trois-mâts le Saint-Paul, parti de Marseille sous le commandement du capitaine Emmanuel Pinard. Le navire a fait route jusqu’à Bombay, où il a déchargé sa cargaison de vin, puis s’est arrêté à Hong-Kong, prenant à son bord 317 ouvriers chinois qu’il doit emmener en Australie, où ils doivent travailler dans les mines d’or.

Mais le 11 septembre, le Saint-Paul heurte un récif et s’échoue dans l’archipel des Louisiades en Nouvelle-Guinée. Les marins subissent alors les assauts des autochtones. L’équipage seul s’enfuit à bord d’une chaloupe, abandonnant les Chinois, qui finiront tous massacrés. C’est cet épisode tragique que relatent les journaux en mars 1859, à l’instar du Phare de la Rochelle :

« Le Saint-Paul, joli navire de 620 tonneaux, faisait, lors de sa perte, un voyage intermédiaire de Chine en Australie, avec des émigrants chinois. Ces malheureux ont trouvé la mort dans le naufrage, avec une partie de l’équipage.

C’est sur une des nombreuses îles de l’archipel des Louisiades que s’est perdu le Saint-Paul. Les îles de cet archipel, d’une étendue assez considérable, sont habitées par des sauvages plus dangereux encore que les bancs de roches qui avoisinent les côtes. »

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Mais les survivants – dont le jeune Narcisse – sont loin d’être tirés d’affaire. Après un long trajet, ils atteignent la côte nord-est du Queensland, en Australie. À bout de forces, ils y quêtent nourriture et eau. C’est au cours d’une de ces recherches que Narcisse est abandonné par ses compagnons, peut-être parce qu’il les ralentissait. Pendant dix-sept ans, il ne reverra pas un seul Européen.

Narcisse Pelletier va en effet connaître un destin hautement improbable. Recueilli par une tribu d’Aborigènes pêcheurs, les Wanthaala, il va vivre avec eux, adoptant leur langue, leur culture, leurs traditions, leurs croyances. Et même leur apparence physique, puisque il se fait faire comme eux des scarifications ornementales sur le corps et se fait percer l’oreille et le nez.

En quelque temps, il a quasiment tout oublié de son existence précédente, y compris la langue française. Adopté par l’un des hommes de la tribu, Narcisse est totalement intégré au groupe. Il épouse même une jeune Aborigène, avec qui il a peut-être deux ou trois enfants.

Mais sa vie bascule une seconde fois le 11 avril 1875, lorsque des marins anglais de passage le reconnaissent comme un Occidental. L’attirant par ruse à bord du navire, l’équipage l’enlève et, malgré les tentatives de Narcisse pour s’échapper, l’amène de force à Sidney. Entre-temps, les marins ont compris qu’il était Français. Le Vendéen, qui a désormais 31 ans, subit un second déracinement, tout aussi violent que le premier.

C’est à ce moment que les journaux ont vent de son histoire. Le Petit journal, traduisant la presse anglaise, la rapporte le 24 juillet :

« Les journaux anglais annoncent le sauvetage d'un Français, âgé de vingt-huit ans [sic], qui n'a pas passé moins de dix-sept ans chez les sauvages.

Ce Français, abandonné, étant garçon de cabine, dans une île où le navire était allé faire de l'eau, avait été pris en amitié par les indigènes et adopté par eux. Il avait appris leur langage, se composant d'une centaine de mots, et vécu en sauvage, comme eux.

Ce Français-sauvage, horriblement tatoué, va être rapatrié par notre consul de Sydney, à qui l'ont confié les autorités anglaises et les marins anglais qui ont pu le recueillir dans l'île, malgré la surveillance des autres sauvages. »

Comme les Anglais qui l’ont arraché à son peuple d’adoption, les journaux sont persuadés que le Français a été sauvé d’un destin horrible. En cette fin de XIXe siècle, l’Occident se vit comme le sommet de la civilisation, et les lointains peuples aborigènes, très peu connus des contemporains, n’évoquent que la sauvagerie, voire une forme d’animalité.

C’est pourquoi le thème de « l’ensauvagement » est prédominant dans les nombreux articles suscités par la réapparition de Narcisse Pelletier, lequel reçoit lui-même le surnom de « sauvage blanc ». Le Temps s’intéresse ainsi au « réveil » progressif de son intelligence, nécessairement obscurcie lors de son séjour parmi les Aborigènes.

« Pendant les premiers jours, il se conduisit comme un vrai sauvage ; il se tenait blotti dans un coin, ou perché comme un oiseau sur les lisses de clôture d'un pâturage, inquiet, soupçonneux, jetant des regards rapides de côté et d'autre, tout hérissé et tout ébouriffé.

Un beau matin, un mot prononcé en français éveilla son attention. On vit son œil s'éclairer, ses lèvres se remuèrent et plusieurs mots d'abord inintelligibles en sortirent. Cette intelligence si longtemps endormie commençait à se réveiller [...].

Ce qui demeure en lui de l'homme sauvage, c'est une docilité et un penchant à l'imitation véritablement enfantins. Narcisse Pelletier obéit au geste autant qu'à la parole et il essaie, comme un singe, de faire tout ce qu'il voit faire aux autres. Son humeur est tranquille et égale, son attitude n'est pas encore celle de l'homme civilisé. Il se laisse aller à ramper à quatre pattes, on le voit rôder par terre çà et là [...].

Aujourd'hui encore, c'est avec regret qu'il parle de ses compagnons. Il a consenti à revenir en Europe ; mais la vie civilisée ne lui inspire aucun enthousiasme. »

À noter que Le Temps est l’un des rares titres de presse à parler du « regret » de Pelletier pour la terre où il a vécu dix-sept ans.

Lors de son retour en France en décembre 1875, les journaux se précipitent pour le rencontrer à Paris, où il séjourne quelque temps avant de retourner auprès de sa famille en Vendée. Mais son récit est décevant, note Le Petit moniteur universel :

« L’ex-sauvage se renferme dans une sorte d’indifférence pour les questions qu’on lui pose, et ses récits n'apprendront pas grand’chose aux géographes, aux naturalistes, aux savants de tout genre. »

Pelletier retrouve ses parents et sa famille dans son village natal de Saint-Gilles-sur-Vie, qui l’accueille en criant « Vive Pelletier ! ». En 1876, un docteur nantais, Constant Merland, recueille son récit et le publie sous le titre de Narcisse Pelletier : dix-sept ans chez les sauvages. L’ouvrage est un précieux recueil d’informations sur la vie et les mœurs de la tribu aborigène où il a vécu.

Parlant du livre en août 1876, La Patrie compare l’histoire de Pelletier à celle, fictive, de Robinson Crusoë. Mais pour le journal, le Vendéen est l’exact « contraire » du célèbre naufragé littéraire, qui « dompte les naturels » et devient « roi des peuplades barbares », quand Pelletier a perdu toute notion de « civilisation » au contact des indigènes :

« Voilà un jeune homme de dix-sept ans, presque un homme, venu de France, formé par plusieurs voyages au long cours ; il tombe au milieu de tribus de mœurs primitives, et loin de leur inculquer la civilisation, loin de les dominer par le savoir acquis, c’est lui qui subit l’influence de ces êtres sauvages, c’est lui qu’ils s’assimilent ; il perd rapidement toute idée, toute notion du passé, tout, même le souvenir, la mémoire ; il retombe à l’état d’enfance, de nature [...].

Il désapprend tout, tout, et sauf sa couleur, qui ne peut passer du blanc au noir, il est devenu plus sauvage que le plus sauvage des Australiens. »

Si l'on connaît peu de choses sur sa vie ultérieure, on sait toutefois que Narcisse Pelletier connaîtra une réintégration très difficile dans sa terre d’origine. Devenu d’abord maître de phare à la pointe de l’Ève, il se fait gardien des signaux au port de Saint-Nazaire à partir de 1877. En 1880, il se marie avec Louise Désirée Mabileau, une couturière. Il meurt en 1894, à 50 ans, sans jamais avoir revu l’Australie ni la tribu qui l’avait adopté.

Pour en savoir plus :

Thomas Duranteau et Xavier Porteau, Narcisse Pelletier, la vraie histoire du sauvage blanc, Elytis, 2016

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