Écho de presse

Victor Hugo, fervent apôtre du spiritisme

le 29/07/2021 par François Cau
le 23/07/2021 par François Cau - modifié le 29/07/2021

Lors de son exil dans les îles anglo-normandes, l’écrivain se passionne pour les sciences spirites. Son enthousiasme pour les « tables tournantes » fournit d’excellentes armes rhétoriques à ses détracteurs.

2 décembre 1851. Louis-Napoléon Bonaparte, futur empereur sous le nom de Napoléon III, fomente un coup d’État afin de rester au pouvoir. Farouche opposant et républicain convaincu, le poète Victor Hugo sent le vent tourner et s’installe avec sa famille à Bruxelles, avant de se replier dans les îles anglo-normandes de Jersey puis de Guernesey.

Son bannissement du territoire est officialisé par décret du 9 janvier 1852, et constaté par la publication officielle du pouvoir Le Moniteur universel.

L’écrivain exilé reçoit beaucoup durant cette période, qui de sympathisants républicains solidaires, qui d’amis artistes. Sa première rencontre avec l’univers spirite découle de ces rencontres, et a lieu un an et demi après son départ forcé du territoire français.

Épisode méconnu de la vie de l’auteur de son vivant, c’est au XXe siècle, bien après sa mort et sa canonisation, que ses opposants politiques mettent en lumière sa fascination déraisonnable pour les communications avec les esprits.

En 1922, un premier travail de sape du mythe Victor Hugo par la droite française est effectué via un numéro spécial de La Revue des Deux Mondes consacré au spiritisme. Celui-ci inclut un article intitulé « Victor Hugo spirite », rempli de procès-verbaux de ces séances.

En 1929, L’Ouest-Éclair revient plus amplement sur son temps passé à Jersey et sa passion cachée pour les activités spirites.

« D’abord, le décor. Nous sommes à Marine-Terrace, la maison d’exil de Victor Hugo. Le mardi 6 septembre 1853, Mme de Girardin (Delphine Gay, la Muse du Romantisme), malade et déjà condamnée, débarqua à Jersey, venant y passer six jours.

Fervente spirite, elle sait faire tourner les tables et parler les guéridons. La mode, d’ailleurs, était au spiritisme et Delphine s’était jetée sur la science nouvelle avec le sérieux passionné d’une âme que hantent, aux portes du tombeau, les affres du mystère. »

Sur l’insistance de son invitée, Victor Hugo finit par se joindre à la séance,  qui s’avérera décisive dans sa conversion – les mauvais esprits insisteront par ailleurs sur son autosuggestion forcenée.

L’Ouest-Éclair relate l’expérience fondatrice de l’auteur des Misérables, convaincu d’interagir avec sa fille disparue.

« Tout d’un coup, son mouvement devient brusque et volontaire, comme un ordre. Elle frappe deux coups. C’est un esprit. On lui demande : “Qui es-tu ?” La table répond le nom d’une morte, vivante dans le cœur de tous les assistants… Les dix lettres tombèrent dans l’attente émouvante, nettement frappées : L-é-o-p-o-l-d-i-n-e. C’était le prénom de la fille chérie de V. Hugo qui, noyée au cours d’une promenade en Seine, reposait dans le cimetière de Villequier…

Une sorte d’angoisse, d’horreur surnaturelle, pesa sur l’assistance. Victor Hugo s’émut. Mme Hugo se mit à sangloter. Charles Hugo interrogea sa sœur : “Où es-tu ? Nous aimes-tu toujours ? Es-tu heureuse ?” Elle répondit à toutes les questions. “Nous restions là”, a raconté Ch. Vacquerie, l’âme clouée sur l’invisible apparition. Enfin, elle nous dit : “Adieu !” et la table ne bougea plus.

Le lendemain, Mme de Girardin n’eut plus à solliciter ses hôtes. Toute la nuit, à Marine-Terrace, on évoqua les esprits. Victor Hugo était conquis, d’enthousiasme à la nouvelle religion… »

Le gros mot est lâché : religion. Il s’agit en effet du principal point d’ancrage de tous les reproches adressés au spiritisme en général et à Victor Hugo en particulier, taxé d’hérésie et de « syndrome démiurgique ».

À leur décharge, il faut dire que non content d’invoquer les esprits de prestigieux écrivains décédés (Shakespeare, Eschyle, Molière, Luther ou Byron), l'homme de lettres prétend que les ouvrages rédigés durant son exil lui auraient été « dictés de l’au-delà ».

C’est ce que relate La Croix avec un effroi feint dans un article intitulé « La Religion de Victor Hugo », du titre d’un ouvrage de Denys Saurat paru en 1929 sur les expériences ésotériques de l’écrivain.

 

« Quand on lit les Contemplations, la Fin de Satan, Dieu, Religion et Religion, les Quatre Vents de l’Esprit, on ne peut manquer d’être frappé, entre autres choses, par le ton pontifiant, le tour mystique, l’accent vaticinateur de la plupart des poésies religieuses composant ces recueils. Bien entendu, la religion qui y est professée n’est pas le catholicisme. »

La suite de l’article décrit en diagonale la bascule irréparable d’Hugo vers la Cabale sous l’influence de son camarade Alexandre Weill, de même que ses élans presque messianiques.

« Orgueil, sensualité, traditions cabalistes du Zohar, transmises par ce pince-sans-rire de Weill, tel est le trépied intellectuel et “moral” sur lequel repose la religion de Victor Hugo. Jusqu’à quel point faut-il la prendre au sérieux ?

Aux yeux du bon sens, il est difficile de voir là autre chose qu’un cas très caractérisé de folie. Hugo est devenu fou vers 1855 et M. Denys Saurat, sans trop s’en rendre compte, nous en apporte la preuve détaillée. »

 En 1935, le journal de la droite monarchiste L’Action française ne manque pas d’aller plus loin encore dans l’ironie.

« Le spécimen suivant suffira à donner une idée des résultats de ces effarantes séances. Le procès-verbal en question porte cette date : “Nuit du 12 au 13 septembre 1853.” En voici le texte (c’est Victor Hugo qui interroge) :

“Qui es-tu ? – Bonaparte. – Le Grand ? – Non. – Le petit, alors ? Celui qu’ils appellent Napoléon III ? – Oui. – Ah ! scélérat, je te tiens : qui t’envoie ? – Mon oncle. – Pourquoi ? – Pour être puni. – Il est donc mécontent de toi ? – Oui. – Ton oncle t’en veut-il ? – Non. – Sais-tu quand tu mourras ? – Dans deux ans. – Comment ? – Par vous. – Sait-on ce qui te remplacera ? – République universelle.”

Il est à peine besoin de faire remarquer que le Bonaparte ainsi apostrophé s’exprimait dans le plus pur style Hugo, et ce qui rendait ses paroles encore plus comiques, c’est qu’il employait humblement et piteusement le “vous” pour répondre au méprisant tutoiement du poète. On veut croire que celui-ci, qui posait les questions, était sincère, et qu’il ne cherchait pas à mystifier les autres assistants. »

Dans toute sa morgue, l’article relève là le principal point de litige de l’expérience spirite de Victor Hugo. En effet, on ne peut que s’étonner que les esprits invoqués s’expriment non seulement en français (quand bien même ils ne maîtrisaient pas la langue de leur vivant – c’est le cas de tous les auteurs étrangers avec lesquels Hugo se serait « entretenus »), mais qu’ils le fassent en outre dans le style du poète.

Après la Seconde Guerre mondiale, cet épisode embarrassant de la biographie de Victor Hugo sera presque totalement oublié. En 1962 puis en 1972, après leur disparition inexpliquée, plusieurs cahiers contenant les récits des séances de spiritisme de Jersey seront vendus anonymement à la Bibliothèque nationale de France.

Il faudra attendre 2014 pour qu’un recueil complet des expériences spirites de Victor Hugo intitulé Le Livre des tables paraisse en format folio, aux éditions Gallimard.

 

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