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« Traduit de l’argot » : Francis Carco parmi les truands des années 1930

le par

Paul Carbone, « parrain » français et instigateur de la French Connection, 1942 - source : WikiCommons

Dans un récit devenu culte, l’écrivain reporter Francis Carco raconte de l’intérieur le « milieu » parisien. Une sombre affaire de règlement de compte entre bandes rivales nous fait pénétrer dans le grand monde de la voyoucratie, entre maisons de passe, salles de jeu et hommes taiseux en gabardine.

Avant de paraître en volume aux Éditions de France, « Traduit de l’argot » est publié au mois de janvier 1932 en feuilleton dans Gringoire, fondé entre autres par Joseph Kessel. Documentaire exceptionnel sur le « milieu », le récit de Carco aborde de front les enjeux de la vie semi-clandestine des voyous parisiens, sa violence, son économie, sa géographie, ses paradoxes, son langage. Cette longue déambulation dans les lieux « sordides » de la capitale est en effet travaillée par la façon dont parlent les truands, leur dialecte, difficilement compréhensible pour un homme de l’extérieur et qui fascine Carco.

Nous publions ici le début de cette quête vers un monde secret, menée tambour battant, où l’on rencontre un juge médusé, l’heureux rescapé d’une fusillade, le propriétaire d’un hôtel borgne – et le célèbre bandit Bob-le-Flambeur. 

Minuit trente-cinq : on venait de rendre le verdict. De la salle des assises, la foule muette se retirait lentement. Une atmosphère pesante et trouble régnait encore entre les murs aux boiseries sévères, sous le plafond à écussons et, tandis que les journalistes dégringolaient de leurs bancs et s'éloignaient en discourant avec des avocats ou des confrères, un groupe d'hommes en casquette discutait à voix basse près de la porte à tambour du fond. La décision du tribunal leur paraissait inique, du moins en ce qui concernait l'un des deux condamnés qui appartenait à la bande. Ils s'en allèrent enfin après un dernier regard vers le box, à présent désert, des accusés, où ils avaient pu voir leur compagnon, André-le-Belge, un grand type maigre, osseux, voûté, sinistre, accueillir sans baisser les yeux, dix ans de travaux forcés plus vingt ans d’interdiction.

J'avais régulièrement assisté aux débat, et je demeurais persuadé que personne –  tant des magistrats que des membres du jury – n'avait considéré l'affaire sous son jour véritable. Il s'agissait d'un vrai drame du « milieu » ou, plutôt, comme je l'entendis déclarer durant une suspension d'audience, par le public en pull-over, chandail, chapeau melon, trench-coat ou gabardine, errant dans les couloirs, d'une histoire de « peaux rouges », de « truands ». L'audition des témoins, qui ne disaient que ce qu'ils voulaient dire, de peur d'avoir à l'expliquer plus tard, non point devant les juges mais en présence de messieurs les amis venus pour empêcher qu'on ne parlât trop, n'avait guère permis d’aborder le fond de la question. Aucun des personnages cités ne tenait, pour son compte, à s'expliquer trop clairement. Seul, le commissaire de police, tandis que le président s'étonnait que l'on n'eût pas, après le crime, retrouvé de browning, avait nettement répondu que dans son quartier une arme abandonnée était sur-le-champ ramassée. Cette réponse avait fait sensation. Ainsi, de main en main…

Mais voici l'acte d'accusation :

Dans la soirée du 9 juillet 1930, vers vingt-deux heures, le nommé Ardre Blache, dit le Belge, né a Roubaix, se promenait place d'Italie en compagnie des sieurs Dufaux et Bardelet, lorsqu'ils rencontrèrent Albert Roche et Parent. Immédiatement, s'engagea entre André Blache, Parent et Albert Roche une discussion violente au cours de laquelle le premier porta des coups de poing et des coups de pied aux deux autres qui s'enfuirent après av...

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