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Octave Mirbeau contre « l’étrange manie » du patriotisme

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Octave Mirbeau en partisan dreyfusard pendant l'Affaire, carte postale, circa 1897- source : Gallica-Bibliothèque de la ville de Paris

Dans un brûlot à la gloire du compositeur allemand Richard Wagner, l’auteur du Jardin des supplices raille la maladie du « patriotisme » qui s’est semble-t-il emparée de la France au sortir de la défaite de 1870-71.

Écrivain et journaliste connu – et craint – pour ses prises de position radicales (et bientôt anarchistes) dans les colonnes de la presse, Octave Mirbeau prend la plume au début de l’année 1886 en Une du Matin. Il a un nouvel ennemi : la France, revancharde, qui refuse de reconnaître le génie de Richard Wagner. Mais surtout, la passion de celle-ci pour « le patriotisme », plaie suppurante s’étendant à toutes les nations et qui mènera l’Europe tout droit vers la Première Guerre mondiale.

En quelque 10 000 signes hilarants, le redoutable éditorialiste démonte tout ce que cette « manie » est susceptible de provoquer : peur de l’autre, stupidité, racisme, et bien sûr : aveuglement devant le talent pourtant manifeste d’artistes étrangers.

Le patriotisme est une des plus étranges manies de cette fin de siècle, pourtant si féconde en manies de toute sorte.

C'est lui qui nous vaut le génie de M. Édouard Détaille [peintre et illustrateur, NDLR], la popularité stupéfiante de M. Anatole de la Forge [journaliste devenu homme politique], la redingote verte de [l’homme politique] M. Déroulède, – laquelle est en train de remplacer, dans les légendes, la redingote grise de Napoléon ler, – et cette opinion généralement adoptée, qu'un simple particulier ne peut aimer sa patrie, s'il n'est déguisé en gymnaste ou bien en orphéoniste. Il nous vaut aussi M. Lucien Nicot, journaliste français qui, depuis longues années, s'est exclusivement consacré à la tache vengeresse d'écraser un [journaliste allemand] nommé Kramer de Cologne, un certain Beckman, de Berlin [lui aussi correspondant en France, soupçonné d’espionnage], deux reptiles de forte taille à ce qu'il paraît.

Si j'en crois l'impartiale histoire, Michel qui n'était point manchot et qui passait pour un des archanges les plus terribles et les plus patriotes de son temps, eut toutes les peines du monde à n'écraser qu'un seul reptile, et encore y employa-t-il toute sa vie. A cet écrasement unique, il gagna une célébrité européenne et le dramatique honneur de figurer, sur les toits des communautés religieuses, en girouette ouvragée, au bout...

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