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1890 : « Le droit à l'avortement » par Séverine

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« faisons des enfants » dans L'Assiette au beurre, 21 septembre 1907 - source : Gallica-BnF

1890. En pleine période de politique nataliste, la journaliste et militante Séverine prend la plume pour défendre le droit à l'avortement.

Au XIXe siècle, l'avortement est interdit dans les textes, mais n'en est pas moins pratiqué. En cette fin d'année 1890, une affaire survenue à Toulon implique le maire de la ville et la femme d'un officier de marine et fait grand bruit.

A cet occasion, Séverine – sous le pseudonyme « Jacqueline » – publie en Une du quotidien Gil Blas du 4 novembre 1890 un article intitulé « Le Droit à l'avortement ». Elle critique l'hypocrisie des mœurs bourgeoises, qui condamnent à la misère les plus pauvres à qui on demande de ne jamais avorter.

LE DROIT À  L'AVORTEMENT

Vous m'avez demandé, cher directeur et ami, mon opinion sur le drame de Toulon. C'était chose dangereuse – l’avis que je puis émettre étant d'une hardiesse à faire paraître ingénus et familiaux les contes les plus risqués publiés ici.

Car l'immoralité, vous le savez, est de deux sortes : celle qui chatouille en riant le nombril des sénateurs – celle-là, tous les régimes l'ont encouragée – et celle qui s'arrête, grave, devant certains problèmes, celle que n'inquiète pas la crudité du sujet, et qui marche dans l'ordure jusqu'aux reins, sans frisson et sans nausée, si quelque être s'y noie, en cette ordure, et appelle au secours de toute la force de son désespoir, de toute l'angoisse de son abandon.

C'est cette immoralité-là qui est mienne, et j'y vais donner libre carrière, audacieusement, cyniquement – étonnant les superficiels qui me considéraient un peu comme la vertu de la maison, mais ne surprenant point les autres, ceux qui, habitués à lire entre les lignes, comprendront que ce que j'écris aujourd’hui n'est que la résultante logique, absolue, implacable, de ce que j'écrivais hier.

***

Et, tout d'abord, un mot sur l'affaire elle-même, ce qu'on a appelé, dès le premier jour, le scandale de Toulon.

Ah ! oui, un joli scandale, à l'actif bien moins des accusés que des magistrats, la dernière stupidité de la justice, la galle à Thémis, quoi !

Mais est-ce bien une gaffe? Cela pue la vengeance à plein nez, la vengeance de province, rance et moisie, avec des relents de vieille demoiselle et des senteurs de robin irrité. Cela ressemble furieusement à la revanche d'une caste sur un adversaire hier puissant, la mise en pièces d'un homme par toutes les furies de la magistrature, de la « bonne société »,–et de l'autorité maritime.

Car elle en est, l'autorité maritime, elle en est en plein. M. Fouroux avait été sous ses ordres, puis, libéré, avait combattu des abus qu'il connaissait d'autant mieux qu'il en avait souffert.

Rappelez-vous l'affaire Ginailhac ? Le maire soutint la population, et les journaux de la localité, ...

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