Interview

Léon Blum, à la fois « allié et fossoyeur des revendications féministes »

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Léon Blum lors d'un congrès socialiste en 1925, Agence Meurisse - source : Gallica-BnF

Léon Blum était-il féministe ? De ses premiers écrits à l'expérience en demi-teinte du Front populaire, l'historien Antoine Tarrago se penche sur les engagements de ce leader socialiste qui a indéniablement œuvré pour l'émancipation des femmes – sans pour autant s'extraire des préjugés de son époque.

Diplômé de l’Université de Bourgogne, lauréat du Prix de la Fondation Jean-Jaurès en 2016, Antoine Tarrago a publié Léon Blum et l'émancipation des femmes en 2019 aux éditions Tallandier, ouvrage qui éclaire d’un jour nouveau la vie et la carrière de l’un des plus grands hommes politiques français du XXe siècle. 

Propos recueillis par Marina Bellot

RetroNews : Dans son ouvrage Du mariage, paru en 1907, Léon Blum s’attaque à une question alors brûlante : la crise du mariage. Il y prône le droit pour les femmes de mener une « vie de garçon », notamment d’avoir des relations sexuelles avant le mariage. Quels sont les tenants et les aboutissants de sa réflexion ?

Antoine Tarrago : Pour Léon Blum, le mariage est en crise car il n'arrive plus à assurer le bonheur durable des époux. Si le mariage ne fonctionne plus comme il le devrait c'est que, selon lui, il est bâti sur une hypocrisie : en théorie les femmes et les hommes doivent être vierges au moment du mariage alors que, dans les faits, les hommes ont déjà eu des relations sexuelles prénuptiales. Un phénomène globalement toléré par la société alors que l'inverse serait impensable. Mais Blum se refuse à choisir la « solution de facilité » et à prôner la virginité pour les deux sexes. À l'inverse, il préconise dans Du mariage que les jeunes hommes et les jeunes filles puissent avoir autant d'aventures qu'ils le désirent et qu'ils découvrent leurs corps et le plaisir sans avoir à subir le courroux de leurs contemporains.

C'est qu'il affirme que les femmes et les hommes passent par deux phases distinctes : une « phase polygamique », qui se caractérise par un débordement de passions, suivie plus tard d'une « phase monogamique », durant laquelle les corps sont plus apaisés. En somme, les jeunes filles doivent mener leur « vie de garçon » pendant cette période polygamique, avant de se marier une fois atteinte la phase monogamique. En toute logique, les jeunes hommes seront amenés à avoir le même parcours.

Du mariage n'est donc pas un essai qui vise à faire disparaître le mariage mais bien au contraire à le protéger. Blum se considère d'ailleurs comme un moraliste tentant de régler un problème de société par une mesure de bon sens. Néanmoins, les idées exprimées dans Du mariage sur l'émancipation des femmes dépassent de loin le seul cadre du mariage et de l'inégalité d'accès à la sexualité pour toucher à des domaines tels que le travail, la prostitution ou la contraception. Blum fait découler de sa réforme idéale du mariage, un projet de société dans lequel les femmes et les hommes seraient traités plus également, une petite révolution dans un XIXe siècle encore éminemment conservateur.

Comment cet ouvrage est-il accueilli ?

La réception de Du mariage a été très frileuse, et c'est un euphémisme. Même des proches de Léon Blum, comme André Gide et Jean Jaurès, ont désapprouvé l'ouvrage et ses théories osées. Certains journaux de la Belle Époque ont publié...

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