Interview

Artisanes et commerçantes en milieu rural : histoire d’une invisibilité

le par

Cordonnière au travail, Agence Rol, 1909 - source : Gallica-BnF

À rebours de l'idée selon laquelle le travail féminin serait un phénomène récent, la chercheuse Lucile Peytavin montre le rôle majeur que les Françaises ont joué dans le développement de l’artisanat et des commerces ruraux aux XIXe et XXe siècles, en dépit de nombreuses inégalités.

La chercheuse Lucile Peytavin a réalisé sa thèse sur l’artisanat et le commerce rural entre 1890 à 1960, période correspondant à l’apogée et au déclin de ces secteurs d’activités. Ce faisant, elle a mis au jour le rôle décisif des femmes à la tête de leur propre activité ou aux côtés de leur époux. Conciliant le travail dans l’atelier ou la boutique, l’éducation des enfants et les tâches domestiques, et pourtant considérées par la société  et souvent par elles-mêmes – comme sans profession, elles ont joué un rôle majeur dans la pérennité de ces petites entreprises et, plus largement, dans la vie rurale à cette époque. 

En plongeant dans le quotidien de ces femmes, la jeune historienne a mis en lumière les multiples inégalités des relations entre les sexes et le déterminisme social qu’elles ont subi et dont elles ont, parfois, réussi à s’extirper. 

Entretien avec Lucile Peytavin, docteure en Histoire, chargée de mission à l’égalité à l’U2P Auvergne-Rhône-Alpes et membre du Laboratoire de l’égalité.

Propos recueillis par Marina Bellot

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RetroNews : Qu'est-ce qui vous a poussée à vous intéresser à ce thème peu étudié des femmes dans l'entreprise rurale ?

Lucile Peytavin : Lorsque j’ai commencé mes études d’histoire, je savais que je voulais étudier le passé des femmes, c’est un sujet qui a toujours été très important pour moi. C’est par le travail de modiste-mercière de ma grand-mère maternelle, qui a eu sa boutique de chapeaux et de mercerie dans le nord de la Drôme entre 1930 et 1968, que j’en suis venue à m’intéresser au travail des femmes dans l'artisanat et plus largement, au travail des artisans-commerçants aux XIXe et XXe siècles, puisque le travail des femmes est une donnée constitutive et permanente dans ces petits établissements. 

Je me suis aperçue qu’il y avait peu de travaux qui avaient été faits dessus, notamment en milieu rural, et que tout un pan de l’histoire du travail restait donc à écrire.

L'artisanat a su s’organiser dès le haut Moyen Âge, en créant des corporations. Excluait-on alors les femmes de ces mouvements ?

Les métiers étaient effectivement organisés en corporations qui régulaient le nombre de maîtres et d’apprentis, et on s’aperçoit que pendant les troubles politiques, notamment les guerres qui avaient de fortes retombées sur l’économie, ces corporations restreignaient le nombre d’artisans et de commerçants… et excluaient les femmes. Plus largement, très peu de corporations leur étaient ouvertes.

À partir de 1776, il y a eu une refonte des corporations pour libéraliser le marché, et à partir de là, elles ont eu accès à toutes les corporations – sur le papier. Car dans les faits, ...

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