Interview

La croisade de l'abbé Bethléem, le « père Fouettard de la littérature »

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L'abbé Louis Bethléem (assis avec les lunettes, au centre) lors de son procès au mois de mars 1927, Agence Rol - source : Gallica-BnF

L'abbé Louis Bethléem fut durant la première moitié du XXe siècle un censeur exalté de la littérature, comme de la presse, du théâtre ou de l'opéra. C'est l'obsession de cet intellectuel catholique et bagarreur qu'a retracée dans un passionnant ouvrage l'historien Jean-Yves Mollier.

1927. Un imposant prêtre en soutane entre dans un kiosque parisien et se met à lacérer, sous les yeux des passants, des publications « indécentes ». Cette scène, peu banale mais bien réelle, s'est produite maintes fois dans le Paris de l'entre-deux-guerres. Le prêtre en question est l’abbé Bethléem, connu pour avoir publié en 1904 un brûlot, Romans à lire et romans à proscrire, qui ne tardera pas  à devenir un best-seller mondial.

Aujourd'hui tombé dans l'oubli, cette grande figure catholique et militant bagarreur, surnommé en son temps « Le père Fouettard de la littérature », a pourtant eu une influence croissante durant quarante ans, jusqu'à devenir une personnalité aussi raillée que crainte dans les années 1930. Car cet infatigable défenseur de l'ordre moral et des « bonnes mœurs » ne s'est pas seulement attaqué à la littérature mais également à la presse, au théâtre, à l’opéra, à la bande dessinée – et même au maillot de bain féminin.

Mort en 1940, il aura encore une influence posthume en inspirant la loi du 16 juillet 1949 sur les publications destinées à la jeunesse. C'est la croisade de cet homme d'Église soutenu en son temps par la papauté que retrace Jean-Yves Mollier dans son ouvrage La Mise au pas des écrivains : L'impossible mission de l'abbé Bethléem au XXe siècle.

Propos recueillis par Marina Bellot

RetroNews : Avant de consacrer un ouvrage à l’abbé Bethléem, vous aviez croisé maintes fois ce personnage aussi influent que méconnu au détour de documents consultés pendant des années pour votre travail d’historien de l’édition. Est-ce là le point de départ de votre livre ? 

Jean-Yves Mollier : Absolument. L’abbé Bethléem est une sorte de grand inquisiteur de la première moitié du XXe siècle et quiconque travaille sur les lois qui ont instauré des formes de censure modernes ne peut pas ne pas rencontrer Louis Bethléem (1869-1940).

La seconde raison, c’est que j’ai travaillé avec Pascal Ory, Thierry Crépin et quelques autres pour un colloque sur la censure à Bourges en 1994, puis pour un autre à Angoulême en 1999 sur les cinquante ans de la loi sur la protection de l’enfance et de l’adolescence de juillet 1949 et, là encore, nous nous sommes rendus compte que ce personnage pourtant mort en 1940 était omniprésent dans les plis ou les creux de la loi de 1949 !

De quel milieu est issu l’abbé Bethléem ? 

Il vient d’un milieu totalement rural et agricole. Il naît en 1869 à Steenwerk, dans le nord, dans une famille où les arrières-grands-parents et les grands-parents ont été ouvriers agricoles tout en travaillant dans le textile – on est là dans la polyactivité, fermiers à la belle saison, travailleurs de la laine pendant l’hiver. Ses propres parents ont réussi à acheter tant bien que mal une toute petite ferme et ils vont y vivre a...

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