Interview

Une histoire de la fatigue : discussion avec Georges Vigarello

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«[...] Jamais sous la lune ne pourrait donner un moment de repos à une seule de ces âmes fatiguées », estampe de Gustave Doré, 1861 - source : Gallica-BnF

Alors que les sociétés post-Covid-19 semblent en proie à un épuisement généralisé, l'historien Georges Vigarello se penche dans son dernier ouvrage sur l'histoire de la fatigue, aussi familière à chacun qu'inexplorée par les historiens.

Compagne familière de l'homme, universelle et intemporelle, la fatigue n'a pourtant été que peu étudiée. Dans son livre-somme paru aux éditions du Seuil, l'historien Georges Vigarello révèle une histoire méconnue, riche de découvertes et d'enseignements, depuis le Moyen Âge jusqu’à nos jours : celle du « surmenage », de la « charge mentale », etc.

L'évolution de la lexicologie à travers les siècles montre l'irrépressible extension du domaine de la fatigue et le basculement d'un épuisement physique à une usure mentale. Que dit la fatigue de notre représentation du corps ? Que révèle-t-elle d'une société ?

Propos recueillis par Marina Bellot

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RetroNews : En travaillant sur cet ouvrage, vous avez été surpris de constater que la fatigue n'avait pas quasiment pas été étudiée par les historiens, comme si elle n’était pas un objet historique digne d’intérêt… Comment l’expliquez-vous ?  

Georges Vigarello : Anthropologiquement, l'humain éprouve trois limites dominantes : la mort, la maladie et la fatigue. La mort a fait l'objet de nombreux travaux monumentaux et majeurs, et la plupart des maladies ont aujourd'hui leur histoire, de la variole au sida. Pourquoi n’y a-t-il pas l’équivalent pour la fatigue ? 

La principale raison porte selon moi sur le fait que la fatigue est difficile à objectiver. Que peut-on dire quant à la manière de la définir, la qualifier, la quantifier ? C'est par ailleurs un phénomène complexe, à la fois organique et psychologique, fuyant, qui apparaît et disparait. Enfin, la fatigue nous accompagne tellement, elle est tellement inscrite dans nos comportements quotidiens, qu’on éprouve qu’il n’y a pas besoin d’en faire l’histoire. 

Ceci dit, l'exigence historiographique d’aujourd'hui favorise ce genre de questions, et les historiens finissent par montrer que ce qui semble ne pas avoir d’histoire en a en fait une. C’est l'une des caractéristiques des nouveaux modes d'interrogation sur l'histoire aujourdâ...

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