Interview

Une « pensée de la résistance » : le métissage selon François Laplantine

le par

Illustrations parues dans le recueil « Costumes du Brésil », Jean-Baptiste Debret, 1820 - source : Gallica-BnF

Ni osmose, ni symbiose, ni simple mélange de plusieurs éléments, le métissage échappe à toute tentative de définition. Beaucoup plus aisé est de saisir ce qu'est l'anti-métissage : la production de catégories d’identité et de stabilité qui opposent toujours le pur et l'impur, l'autochtone et l'étranger, le nous et les autres. 

Alors, qu’est-ce que le métissage ? Il s'agit, pour l'anthropologue spécialiste de l'Amérique latine François Laplantine, d'un processus qui commence « quand nous reconnaissons ce nous devons aux autres et cessons d’affirmer ne rien devoir à personne. C’est la reconnaissance des autres en nous, l'acceptation du multiple comme valeur constituante ».

Penser le métissage suppose d'abandonner la notion d'identité pour effectuer l'expérience de ce que Freud appelle l’étrangeté, entre soi et l’autre mais aussi à l'intérieur de soi. 

Balayant nombre d'idées reçues, François Laplantine donne à voir ce que des métissages féconds ont produits à travers les siècles et les continents, dans le domaine de la linguistique, de l'art, de la philosophie... Et montre en quoi la pensée métisse est une pensée de la résistance tant à l'uniformisation croissante induite par la mondialisation qu'à l'exacerbation des particularismes identitaires qu'elle engendre. 

Propos recueillis par Marina Bellot

RetroNews : Quelle est l’étymologie du terme métissage ? Dans quel contexte apparaît-il pour la première fois ? 

François Laplantine : Le mot métissage vient du latin Mixtus, qui veut dire mêler, sangs mêlés. Il apparaît dans les Caraïbes et dans les Amériques latines pour désigner le mélange des « races », c’est au départ une notion biologique. 

Il faut être vigilant à l’égard de l’inflation du terme qui est utilisé pour désigner des manifestations musicales exotiques, des produits gastronomiques aux saveurs épicées, etc. Le mot est prononcé chaque fois qu’il est question du thème vague de la rencontre, qui consiste seulement à mélanger des éléments… Ce n'est pas très intéressant. Si vous mélangez toutes les couleurs, vous obtenez du gris, si vous mélangez tous les sons, vous obtenez du bruit. Le métissage ainsi conçu n'est pas une pensée.

Dans les sciences humaines et sociales, la notion de métissage ne bénéficie pas d’une totale légitimité parce qu’on ne peut pas prétendre à la scientificité du modèle. Ce n'est pas un concept. Or une pensée métisse n’a pas de solidité ontologique et est réfractaire à toute opération de définition, de fixation... Ce qui est métisse n’a pas de centre, de bords, de côtés. 

Il semble en réalité qu’il soit plus aisé de dire ce que n’est pas le métissage plutôt que ce qu’il est… 

En effet, il est très facile de saisir ce qu’est l’anti-métissage, beaucoup moins ce que sont les métissages. Historiquement, le métissage a toujours existé sur fond d’anti-métissage, de même que le voyage, le nomadisme, l’exil ont toujours existé sur fond de sédentarité.

L’anti-métissage, c’est ce qui a sous-tendu aux États-Unis l'él...

Cet article est réservé aux abonnés.
Accédez à l'intégralité de l'offre éditoriale et aux outils de recherche avancée.