Interview

Héritocratie : une histoire critique de la « méritocratie » à la française

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Étudiants sous les arcades de la Sorbonne, 1948 - source : Nationaal Archief Materiaalsoort-WikiCommons

Dans son ouvrage Héritocratie. Les élites, les grandes écoles et les mésaventures du mérite (1870-2020), le sociologue Paul Pasquali met à mal le mythe d'un âge d'or de la méritocratie en France et montre que, dans le système scolaire qui prévaut en France, le mérite appartient d’abord aux héritiers.

« Le mérite appartient aux héritiers ». Dans son ouvrage en forme d'enquête sociohistorique, Paul Pasquali déconstruit le mythe de la méritocratie à la française et montre comment les élites sont parvenues à protéger leurs intérêts au cours de l’histoire par des stratégies récurrentes de maintien de l’ordre scolaire et de défense des frontières sociales.

Propos recueillis par Marina Bellot

RetroNews : Quand le néologisme « méritocratie » est-il apparu ?

Paul Pasquali : Le terme est apparu en 1958, d’abord en anglais, sous la plume de Michael Young, un sociologue britannique, dans un roman dystopique aux accents orwelliens (The Rise of the Meritocracy). Deux ans avant sa traduction en français (sous le titre La Méritocratie en mai 2033), en 1969, le terme de méritocratie circulait néanmoins déjà en France dans certains cercles politico-intellectuels de gauche – sa première occurrence dans Le Monde remonte à février 1967. Avant que son emploi se généralise, d'autres termes plus polémiques étaient utilisés : celui d’« énarchie », tiré du pamphlet éponyme paru en 1968, puis celui de « technocratie ».

Pour ma part, j’ai forgé le concept d’héritocratie, néologisme qui invite à renverser la perspective puisque le fait majeur d’un point de vue historique et statistique, c’est l’héritage, et que dans le système scolaire élitiste qui prévaut en France, le mérite appartient d’abord aux héritiers. C’était valable il y a 50 ans quand Bourdieu et Passeron ont écrit Les Héritiers et ça l’est toujours, mais sous d’autres formes, quand on songe à la place qu’occupent les enfants de milieux aisés dans les grandes écoles. Parler d’héritocratie, c’est insister sur ce qui fait du « mérite » une arme, et par là s’efforcer de voir les élites et les filières d’élite telles qu’elles agissent et non pas telles qu’elles se perçoivent ou voudraient qu’on les voie, c'est-à-dire incarnant ou ayant incarné une méritocratie « malgré tout ». 

Comment expliquer que l’école gratuite, laïque et obligatoire n’ait pas permis aux enfants du peuple de s’élever dans la société ?

L’instruction publique, le fait d'acquérir gratuitement des savoirs et des savoir-faire, ont certes été une avancée pour les enfants du peuple sous la IIIe République. Mais on tend aujourd’hui à oublier que l’école gratuite, laïque et obligatoire a aussi été une ...

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