Interview

L’enfant « sauvage » Kaspar Hauser, selon Hervé Mazurel

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Portrait de Kaspar Hauser, Karlsruher Unterhaltungsblatt, circa 1830 - source : WikiCommons

L'historien du sensible revient pour nous sur la vie sans repères de l’adolescent allemand apparu un jour de Pentecôte devant une taverne de Nuremberg, après avoir passé seize années dans le noir.

Hervé Mazurel est historien, maître de conférences à l’université de Bourgogne et codirecteur de la revue Sensibilités. Histoire, critique et sciences sociales. Spécialiste de l’Europe romantique, il travaille sur l’histoire du corps, des affects, et des imaginaires sociaux au XIXe siècle. Il a publié une somme aux éditions La Découverte au sujet du célèbre adolescent « sorti de nulle part » Kaspar Hauser, apparu un après-midi de Pentecôte dans Nuremberg, deux lettres à la main, l’air effrayé, pâle et s’exprimant avec une extrême difficulté.

Nous nous sommes entretenus avec lui au sujet d’Hauser et de sa courte « vie dans le monde », lui qui n’avait aucune histoire, qui ne disposait d’aucune attache, d’aucun habitus social.

Propos recueillis par Valentin Jendrysiak

RetroNews : Vous parlez de la « nuit originelle » de Kaspar Hauser, sa naissance incertaine. Que sait-on de ces premières années, au sujet desquelles vous parlez « d’histoire au conditionnel » ?

Hervé Mazurel : Des choses très incertaines, à vrai dire. Avec Kaspar Hauser, l’historien se trouve toujours dans une situation inconfortable, où il n’est jamais simple de départager « ce qui a été » de « ce qui n’a pas été » ou de « ce qui a peut-être été ». D’où, la plupart du temps, la nécessité de cette histoire au conditionnel, d’une histoire conjecturale et indiciaire.

Que sait-on au juste ? On sait comment il a surgi dans le monde, et dans le monde social notamment, ce 26 mai 1828 à Nuremberg, sur la place du Suif. Il y avait peu de monde dans la ville, les habitants se promenaient dans les campagnes alentours en ce lundi de Pentecôte. Deux cordonniers l’ont repéré ; il était là, abandonné, blême, hagard et titubant. C’était un étrange personnage, bizarrement accoutré. Il avait l’air d’avoir 16 ou 17 ans, et en même temps, comme le signale le procès-verbal, il paraissait, malgré son corps d’adolescent, avoir deux, trois ans d’âge mental. Enfant ? Adolescent ? On peine toujours à le qualifier…

Et puis la difficulté est qu’une partie des premiers témoignages ont disparu en 1835 dans un incendie. Et pour ne rien arranger : une cinquantaine de gros dossiers archivistiques, médicaux et judiciaires, qui avaient été transférés à Munich, ont eux-mêmes disparus pendant la Seconde Guerre mondiale sous les bombardements alliés. D’eux, il nous reste des retranscriptions substantielles, mais souvent partielles aussi, voire partiales, parce que les retranscripteurs avaient parfois choisi leur camp entre les sceptiques et ceux qui croyaient dans son histoire. Pour tenter de démêler tout cela, il m’a fallu écrire un long premier chapitre intitulé « Preuves et conjectures ».

D’autant plus que vous arrivez dans un terrain largement défriché…

Je n’ai pas fait preuve d’originalité ! Il existe plus de 300 livres sur Kaspar Hauser, plus de 1 500 articles… Mais ils sont massivement concentrés sur l’énigme elle-même. Car on ne sait pas où il est né, ni qui il est, ni quelle était sa langue maternelle. On ne sait pas non plus qui l’a séquestré toutes ces années. Enfin, on ne sait pas qui l’a tué non plus, car il a été assassiné en décembre 1833 : il est resté seulement cinq ans dans le monde, parmi ses contemporains. C’est pourquoi, empruntant à Pierre Michon, je parle ici d’une vie minuscule. Dès le départ, je savais déjà que je ne pourrais clore les débats sur ces vieilles questions, même si j’aimerais bien, moi aussi, comme tout le monde, savoir de quoi il en retourne !

J’ai préféré faire un pas de côté par rapport à l’historiographie existante, les questions les plus intéressantes à son sujet n’étant pas nécessairement là. Il me paraissait possible de revisiter ce cas bouleversant, qui m’a hanté trois années durant, par le biais notamment de l’histoire du corps, des sensibilités, de la vie affective...

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