Interview

Le rire des femmes : histoire d'une conquête

Homme agacé et femme hilare en barque à Tacoma, Washington, circa 1930 - source : WikiCommons

Faire rire a longtemps été une prérogative exclusivement masculine. Dans Le Rire des femmes, l'historienne des sensibilités Sabine Melchior-Bonnet analyse les raisons historiques de cet interdit et montre comment les femmes se sont peu à peu emparées du pouvoir de faire rire.

RetroNews : Pourquoi le rire des femmes a-t-il été perçu si dangereux au fil des siècles ?

Sabine Melchior-Bonnet : La première raison, la plus simple, c'est que le rire déstabilise le raisonnable et le sérieux qu'un homme peut apporter dans une conversation. C’est pour cela qu’on en a peur : le rire casse l'autorité masculine. L’un des points de départ du rire c’est de trouver le ridicule, de railler…

Un des textes qui m’a tout à fait frappée est celui de Virginia Woolf : à l'âge de 22 ans, dans un article sur le rire des femmes publié dans un journal anglais, elle montre à quel point les femmes peuvent retourner des situations parce que leur rire ridiculise l'homme dans ses tenues les plus austères, les plus respectables. Les hommes luttent contre cette réalité de toutes les façons. Ce qu’ils demandent à la femme c’est un cœur pur et un corps silencieux. Évidemment, le corps n'est pas silencieux quand il rit…

Au sujet du corps, j’ai été surprise par l’intérêt donné aux dents : les dents sont reliées à la sexualité. J'ai cherché dans des «​​​​​​ sagesses » des explications, l’une d’elles explique que quand la femme allaite un bébé, elle l'allaite jusqu’à ce qu’il ait ses dents. C’est alors qu’elle redevient une femme accessible à la sexualité. Cette explication n’est pas tout à fait convaincante, mais ce qui est certain c’est que montrer ses dents est considéré comme un acte sexuel ; l’idée sous-jacente est que la femme a deux bouches, une bouche utérine et une bouche dans le visage, qui se répondent l'une l'autre.

On parle d’ailleurs, souvent péjorativement, de « mangeuses d'hommes »...

Oui, absolument. Le rire a un aspect carnassier. Ovide, dans son traité sur L'Art de plaire, considère que le rire peut être très dangereux et laid. Il le compare au braiment d’une ânesse. On parle aussi du « rire d’une hyène »… C'est ainsi qu’est décrit le rire de la prostituée, la langue grecque a même un mot particulier pour évoquer ce rire provocateur.

À quand remonte selon vous cette association entre rire et sexualité ?

Dans la Grèce antique, il existe un mythe qui a été relaté dans L’Hymne homérique à Déméter au VIe siècle avant notre ère. La déesse des blés et de la terre féconde, Déméter, sombre dans les désespoir quand sa fille Perséphone lui est e...

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