Interview

« La plus grande ville d’Occident » : Paris au Moyen Âge

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L'assassinat d'Etienne Marcel, in: Les Chroniques de Jean Froissart, circa XVe siècle - source : Gallica-BnF

Ville la plus peuplée d’Europe au XIVe siècle devant Venise, l’ancienne Lutèce est déjà au Moyen Âge « le » centre des affaires politiques et économiques d’un royaume encore très rural. Conversation avec l’historien Boris Bove.

Boris Bove est ancien élève de l’École Normale Supérieure de Fontenay-Saint-Cloud, agrégé et docteur en histoire de l’Université de Poitiers. Professeur d’histoire médiévale à l’Université de Rouen-Normandie, il est spécialiste de Paris et du monde des villes au bas Moyen Âge. Boris Bove a notamment codirigé avec Claude Gauvard Le Paris du Moyen Âge en 2014, et Notre-Dame, une cathédrale dans la ville en 2022, parus aux éditions Belin.

Propos recueillis par Benoît Collas.

RetroNews : Tout d’abord, disposons-nous de suffisamment de sources pour se faire une idée précise de la vie à Paris au Moyen Âge ?

Boris Bove : Bien que la ville ait une origine antique et qu’il y ait continuité topographique au cours du Moyen Âge, il y a discontinuité totale au point de vue de l’organisation économique et politique. La ville dont nous allons parler dans cet entretien naît en fait au XIIe siècle, et sur bien des aspects, nous ne sommes renseignés qu’à partir du XIVe, voire du XVIe siècle.

Au niveau des archives, trois épisodes historiques ont causé de terribles pertes : la mise sous tutelle de la ville suite à la révolte des Maillotins en 1382, la Révolution au début de laquelle on ne sait que faire des archives d’Ancien Régime, et l’incendie de l’Hôtel de Ville en mai 1871 au cours de la Semaine sanglante. Certaines grandes villes françaises comme Rouen ont, au contraire, des fonds médiévaux bien plus vastes.

Cependant, Paris dispose de certains fonds qui ont été très bien conservés, tels que ceux des propriétaires fonciers, car il s’agissait très majoritairement de monastères qui avaient une « culture de l’écrit ». Mais à côté de ça, nous n’avons presque rien sur la municipalité. Les archives sont donc très contrastées selon les aspects étudiés : trop nombreuses ou au contraire insuffisantes, presque toujours en décalage avec l’échelle du chercheur... Ce qui rend d’autant plus nécessaire le travail collectif.

Combien d’habitants compte Paris au Moyen Âge ? S’agit-il déjà d’une ville française importante ?

La réponse à la question sur la démographie de Paris est à la fois très simple et très compliquée. Il n’y a pas de source avant l’état des feux de 1328 – sorte de recensement des foyers que le Roi peut taxer en cas de guerre – qui indique 61 000 feux à Paris, mais il ne dit pas combien de personnes chaque feu représente. Une moyenne de quatre personnes étant vraisemblable (les apprentis et domestiques étant comptabilisés, puisqu’il s’agit de la famille au sens économique, et non biologique), cela donne 250 000 habitants pour Paris en 1328.

C’est un chiffre très important puisque cela fait de Paris la ville la plus peuplée d’Occident (Venise, en deuxième position, en compte 200 000), ce qui est tout à fait étonnant pour la France qui est un royaume rural et dont les deuxième et troisième plus grandes villes, Gand et Rouen, comptent respectivement 60 000 et 40 000 habitants. Il y a donc un hiatus étonnant entre Paris et les autres villes.

La domination de Paris est déjà en place au XIIe siècle et ne fait que se renforcer au fil du temps. Il y a trois raisons possibles et complémentaires selon moi. Tout d’abord, géologiquement, Paris est au centre du bassin parisien, extrêmement riche sur le plan agricole, et très bien connecté par la Seine et ses affluents aux régions environnantes et à la mer. Ce sont les afflux des populations rurales de ce bassin qui font grossir la ville. Ensuite, Paris joue un rôle de métropole économique, et déjà dans le domaine du luxe : c’est en effet la seule ville française où se développe un artisanat de la soie. Enfin, les élit...

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