Interview

Au XIXe siècle, le retour en force d'une sexualité procréative et normée

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" L'Amour dans les bras de Psyché", gravure de Bernardo Daddi, XVIe siècle - source : Gallica-Numelyo

Sous la double influence de la morale religieuse et de l'hygiénisme médical, le XIXe siècle consacre une sexualité hétérosexuelle, conjugale et procréative. L'historienne Gabrielle Houbre revient sur ce tournant et ses conséquences sur la société dans l'ouvrage collectif Une histoire des sexualités

RetroNews : En quoi le XIXe siècle, qui promeut une sexualité strictement procréatrice et normée, rompt-il avec le siècle précédent ? 

Gabrielle Houbre : En promouvant avant tout une hétérosexualité conjugale procréative, le XIXe s’inscrit d’abord dans une longue durée, rythmée par certains préceptes religieux tirés notamment de la Genèse pour la nécessité de faire couple (II-24), ou pour l’impératif de la reproduction (I- 28). Dans ce cadre exclusif, « la volupté sexuelle » peut trouver une « légitimité » comme Thomas d’Aquin l’explique dans sa Somme théologique (XIIIe s.) ; en dehors, il la considère tout au contraire comme « mauvaise et coupable », de la même façon que si elle est atteinte « d’une manière qui ne convient pas à l’acte de la génération ».

Les ruptures sont plutôt d’ordre culturel : par exemple la Restauration sonne le retour au pouvoir des Ultras catholiques, souhaitant en finir avec une permissivité sexuelle incarnée par la forte figure du libertin, qui se décline surtout au masculin. Sylvie Steinberg rappelle ainsi qu’au XVIIIe siècle, la recherche à tout-va du plaisir sexuel combinée avec le souci de ne pas faire d’enfants et, plus largement, la remise en cause de l’ordre sexuel et religieux, paraît toucher les différentes couches sociales.

Le motif romantique de l’éducation sentimentale, qui forme la trame de bien des petits comme des grands romans du premier XIXe siècle, s’éloigne de ce dérèglement impie des mœurs. Il réclame du jeune bourgeois de la pondération, tolère un apprentissage sexuel prénuptial auprès des femmes du peuple (prostituées, domestiques, paysannes, ouvrières…) et même des femmes mariées des élites, susceptibles de lui enseigner les codes de civilité en même temps que l’aguerrir sexuellement ; mais ceci lui interdit en revanche d’attenter à la sacro-sainte virginité des demoiselles avant le mariage.

 

Dans quelle mesure les discours médicaux et religieux sur la sexualité influencent-ils les mœurs et les pratiques ?  

Au XIXe siècle, la déchristianisation lancée par la Révolution a largement touché les hommes – beaucoup moins les femmes – et les médecins ont pris leurs distances avec les croyances pour établir des protocoles d’études scientifiques. Au nom cette fois de l’hygiène sanitaire, ils ne disent pourtant guère autre chose que l’Église et une morale d’inspiration judéo-chrétienne continue à imprégner fortement leur approche de la sexualité.

Déjà grandissante lors des siècles précédents, leur puissance prescriptive culmine lors de la Belle Époque. Les médecins se projettent au cœur de l’intimité sexuelle des couples en délivrant nombre d’injonctions normatives à leur patientèle. Certains veulent toucher un plus large public et vulgarisent leurs savoirs en publiant des manuels de sexualité conjugale sur le modèle – mais sans la charge transgressive – du fameux Tableau de l’amour conjugal de Nicolas Venette (1686), qui continue sa bonne fortune éditoriale par-delà le XIXe siècle. Le diable se nichant dans les détails, ces médecins n’hésitent pas à calibrer la position (sans surprise, l’homme étendu sur la femme), le lieu (la chambre), le moment (le matin), voire le nombre d’étreintes qu’un mari p...

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