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Achille Le Roy, un ancien communard à l’assaut de l’Académie

le par - modifié le 21/12/2021
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En 1893, Achille Le Roy, ancien communard devenu écrivain et journaliste, défraye la chronique en portant sa candidature à l'Académie française. La farce, très politique, suscite de nombreuses réactions, entre soutien amusé et effroi devant l'« académicide ».

Un ancien communard devenu homme de lettres

Un ancien communard qui porte le nom de Le Roy, cela pourrait prêter à confusion… Le citoyen Achille Le Roy est né en 1841, sous la monarchie de Juillet. Il a donc déjà trente ans pendant les événements de la Commune de Paris. Cet ouvrier typographe ne fait pas partie des grandes figures révolutionnaires parisiennes qui deviendront par la suite des symboles. Ce n'est même pas l'un des membres élus de la Commune parisienne. Cependant, engagé dans la garde nationale (248e bataillon), il a participé à la défense du Plateau de Châtillon près du Fort de Vanves contre les Versaillais :

 « Combattant de la Commune, avec le grade de lieutenant, après la triste répression des Versaillais, il faillit être condamné à mort et fusillé. Il revint de loin. »

S’il a échappé au sort des 20 000 communards exécutés, il a donc, sans qu’on en ait la certitude, pu figurer parmi les 7 500 déportés, envoyés comme Louise Michel et beaucoup d'autres, dans les bagnes de Nouvelle-Calédonie.

Revenu d’exil dans la capitale en 1876 ou 1877 – soit avant l’amnistie générale de 1879, ce qui indique son rôle mineur –, ce socialiste révolutionnaire et syndicaliste de tendance libertaire adhère ensuite au Parti ouvrier de Jules Guesde.

Plumitif doué, il se lance alors comme journaliste, écrivain et éditeur. Depuis 1876, il écrit en effet des pamphlets, des brochures aux titres éloquents dont la majorité revient évidemment sur l’histoire de la Commune : Un Monument à Blanqui (1881), La Revanche du prolétariat en 1895... La plupart sont édités par la Librairie socialiste internationale qu'il a créée. Ce Mouna du XIXe siècle les diffuse d’ailleurs lui-même, arpentant les réunions et les meetings de l’extrême-gauche et son cher Quartier latin.

 « Le métier d'écrivain et de poète socialiste ne nourrissant pas toujours son homme, M. Achille Le Roy vend lui-même, aux portes des salles de réunions publiques, ses œuvres, ainsi que d'autres publications socialistes et anarchistes. »

En 1887, Louise Michel lui a même confié l'édition de la brochure constituée de L'Ère nouvelle, Pensée dernière, Souvenirs de Calédonie (Chant des captifs), dont les 500 exemplaires seront vendus par « le citoyen Le Roy, au profit des grévistes et des détenus ». Ses poèmes, des chansons qu’il a composées ou remaniées, suivent souvent ces textes révolutionnaires. Après 1895, Le Roy s'est ainsi vu attribuer la paternité du Drapeau rouge, en fait composé en 1877 par Paul Brousse (1854-1912) pendant son exil en Suisse. Il collabore aussi à de nombreux journaux parisiens ou de province. Certains de ces textes lui valent d’ailleurs des arrestations et des condamnations. La pièce en vers intitulée le Chant des prolétaires, publiée en 1879, lui coûte ainsi une condamnation pour outrage à l’armée !

En mai 1893, quelques jours avant le déclenchement de sa campagne académicide, il fait des siennes, comme on peut le lire dans Le Gaulois du 10 mai :

« il vendait le 1er Mai sur la place de la République ; au moment de la bagarre, il fut saisi ainsi que sa marchandise et passa quelques heures au poste. »

C’est cette même année 1893 que Le Roy va connaître son heure de gloire, quand il se lance dans une campagne éminemment politique pour ridiculiser l'Académie française. Cette affaire, qu’on hésite à classer entre les rubriques de faits divers, culturelles ou plus politiques, va nourrir plusieurs centaines d’articles de presse entre le 10 mai et la fin du mois d’août 1893.

Elle s’inscrit évidemment dans le contexte de l’intensification de la répression des anarchistes avec l’adoption progressive des « lois scélérates » en 1893 et 1894  – le terme datant en fait de 1899. Ces lois qui visent à endiguer le danger anarchiste, lié à l’adoption de la « propagande par le fait » (terrorisme) par une partie des libertaires, conduisent à réprimer la presse, le mouvement anarchiste et même au-delà : on ferme les journaux ou les organisations libertaires, et on arrête toute personne suspectée d’anarchisme.

Mais Le Roy n’a rien d’un terroriste. Son action politique est plus tournée vers la publicité et la provocation, utilisant l’arme de la dérision comme moyen de propagande.

L’académicide : une déclaration en forme de provocation !

En habile communicant, c’est à travers la presse que le sieur Achille proclame officiellement sa candidature à l’Académie française. Pour Le Matin, qui ironise, la menace représentée par la candidature d’Émile Zola devient ainsi bien anodine :

« Après l'apparition méthodique et régulière de M. Zola, dont le spectre depuis si longtemps troubla leurs nuits, voici qu'un péril bien plus redoutable les guette au détour du quai Conti. »

Le « citoyen Le Roy » brigue en effet rien de moins que trois fauteuils dont celui d’Hippolyte Taine.

Entre approbation, amusement et condamnations outragées, les journaux s’emparent immédiatement du sujet. Les mots de « barnum », « charivari », « facétie », les adjectifs « grotesque », « fumiste », « fantaisiste », « pétardière » sont employés par les journalistes pour désigner cette opération surprenante, considérée malgré tout par une partie d’entre eux comme dangereuse.

Cette candidature résulte en fait de la pression amicale de deux ouvriers amis de Le Roy : les anarchistes Marius Tournadre et Maxime Lisbonne. Tous proclament ne désirer l’immortalité que pour mieux arriver à supprimer purement et simplement l’Académie française : « Mes amis et moi voudrions que ma brusque arrivée dans ce milieu à perruques y produise l'effet d'un obus dans une poudrière. Nous voudrions faire sauter la baraque. »

Pour quelles raisons ? « Au lieu d'être simplement la gardienne de la langue française pure et saine, telle que Richelieu l'avait formée, elle n'est plus aujourd'hui que le berceau de l'orléanisme, le refuge de tout ce qu'il y a d'arriéré, le rempart de tous les retardataires », explique Le Roy au journaliste du Matin venu l’interroger à son domicile de la rue Barrault.

L’homme lui-même détonne avec ses « cheveux longs, rejetés en arrière, un imposant fer à cheval au menton », même si, toujours selon Le Matin, « il a l'aspect plutôt sympathique ». Vu par Le Constitutionnel, journal de la droite républicaine, le portrait est moins flatteur : « Les cheveux longs et gris sont rejetés en arrière “à l'apôtre” ; la barbe grisonnante entoure les lèvres et le menton d'un rébarbatif fer à cheval ». Et le journal légitimiste Le Gaulois est encore moins bienveillant : « Au physique, c'est un homme de cinquante ans, barbe et cheveux gris, les yeux clignotants, le ventre aussi développé que celui de son ami Baudin, la parole onctueuse. »

Pour ce quotidien lu par la noblesse et la grande bourgeoisie, Le Roy est moins révolutionnaire que « fumiste », au vu de la lettre qu’il a envoyée au secrétaire perpétuel de l’Académie française, reproduite dans plusieurs journaux :

« Citoyen,

J'ai l'honneur de vous faire part de mon intention de poser ma candidature aux trois fauteuils actuellement vacants à l'Académie.

Jusqu'à présent le prolétariat a été exclu de la docte assemblée dont vous faites partie. Il serait juste qu'après le Clergé, la noblesse et la bourgeoisie, le quatrième État, à son tour, y fût représenté.

Je n'y compte pas, néanmoins, étant donné l'esprit réactionnaire qui l'anime, car vous savez que si j'étais élu, j'y serais, selon le mot de Félix Pyat, “le grain de dynamite qui ferait sauter cette institution vermoulue”.

Peu au courant des usages académiques et mondains, je vous serais très reconnaissant de bien vouloir m'accorder une audience, afin que je puisse me renseigner auprès de vous sur les démarches que j'aurai à faire pour déposer officiellement ma candidature.

Veuillez agréer, etc.

Achille Le Roy.

P.-S. Je joins à ma lettre un exemplaire de chacune de mes œuvres (sic) :
Les Réformes sociales urgentes. Fusillé deux fois. Le Chant des Prolétaires. La Liberté de l'amour. Le Droit au Bonheur (sous presse). La Commune de l'avenir. Gare à la bombe ! »

Certains journaux restent relativement factuels, comme La Justice, le journal de Clemenceau, qui fait bien sûr le parallèle avec la candidature de Zola, tout en s’interrogeant sur l’effet produit sur l’Académie : « Sans doute le citoyen Le Roy a eu pour principal objectif de faire passer un mauvais quart d'heure au “citoyen secrétaire” – c'est la qualification qu'il lui donne – et il est probable que l'auteur de la Considération a reculé épouvanté en recevant Fusillé deux fois et Gare à la Bombe ! » Mais, pour Léon Millot : « le premier moment de stupeur passé, la vieille dame du quai Conti reprendra ses esprits, et elle signifiera au mécréant qu'il ne saurait y avoir rien de commun entre elle et lui ».

Le journal radical-socialiste Germinal publie une interview de Camille Doucet, le secrétaire perpétuel de l’académie, qui répond calmement que la candidature sera examinée en fonction de la valeur littéraire du postulant et que l’Académie ne fait pas de politique.

On trouve a priori peu d’échos de cette histoire dans la presse révolutionnaire. Le journal boulangiste La Cocarde soutient la démarche, tout en indiquant que même son auteur « ne se méprend pas sur le sort réservé à son initiative. Néanmoins, il fera les visites réglementaires. »

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Les visites aux académiciens : des actions politiques en forme de farce

Ces tournées sont pour lui une autre manière de promouvoir son action en essayant de discréditer l’Académie. Le Roy commence ses audiences auprès des 37 immortels, en portant à chaque fois une immense marmite contenant ses productions. Il rencontre ainsi le duc de Broglie, le ministre républicain Jules Simon ou le vieux poète Leconte de Lisle. Peu à peu les portes ne font plus que s'entrouvrir, les académiciens – ou d’autres candidats, qu’il va voir aussi – refusent les entretiens, comme Ferdinand Brunetière qui va lui être élu académicien. Anatole France, qui sera élu en 1896, s’en sort en « se réfugiant dans un parlage pour ne rien dire ». En dépit de l’insistance de Le Roy et ses camarades, « on les tient maintenant dans le vestibule » indique Le Siècle.

La journée la plus mouvementée, qui donne lieu à une nouvelle série d’articles, est celle qui l’entraîne vers la Sorbonne. Dans son éclatant costume loué chez un fripier, dont le frac aurait appartenu au fils d’un général bolivien (tunique noire avec col, parements et pattes d’épaulettes rouges surchargées de broderies), Le Roy monte à l'assaut des collines du Quartier latin pour rendre visite à l’historien Ernest Lavisse. Il est bientôt accompagné de plus de 2000 étudiants qui crient autour de lui « Vive Le Roy », ou qui chantent La Carmagnole. Au pied du Panthéon, l’anarchiste se lance dans un discours à la jeunesse française, qu’il publiera ensuite dans une brochure, avec le récit de ses entretiens. La folle équipée se termine finalement en prison, pour trouble à l’ordre public.

Des poursuites sont engagées au début du mois de juin contre Le Roy : il est en fait « cité par le Tribunal de simple police pour port d'un costume de mascarade prohibé en tout autre temps que le Carnaval » sur le fondement d’une ordonnance de 1512 ! Il est vrai, raille Le Radical le 1er juin, que la préfecture a dû beaucoup chercher pour trouver un délit justifiant a posteriori l’arrestation. L’armée bolivienne serait donc une mascarade, se moque le journaliste Joachim Derriaz, qui imagine de futures complications diplomatiques avec la Bolivie, et, s’interrogeant sur le port du costume en général, rappelle ensuite que les femmes qui portaient des costumes d’hommes ont nourri les colonnes de la presse quelque temps auparavant. Autre journal radical, lui aussi résolument opposé au boulangisme quelques années plus tôt, La Nation se demande plus simplement s’il est possible de poser sa candidature à l’Académie « quand on n’est pas duc ou pair ».

Le procès débouche cependant sur un non-lieu. Dans les journaux plus modérés ou conservateurs, on ironise. Des parallèles sont faits avec les comédies de Labiche, et on imagine des dialogues burlesques entre Le Roy et les académiciens qui acceptent de le recevoir. L’écrivain, dramaturge et journaliste Alfred Capus (1858-1922), connu pour ses chroniques fantaisistes, en tire ainsi une courte scénette où, sous la forme d’une conversation imaginaire entre Camille Doucet et l’académicide, il ridiculise l’anarchiste.

Le Siècle s’indigne cependant que le secrétaire de l’Académie ait pu recevoir Le Roy et Tournadre : « Les institutions qui se laissent “blaguer” d'aussi près touchent à la période de décrépitude. »

La candidature de Le Roy fait évidemment très vite des émules parmi les militants ouvriers tel Alfred Brard, conseiller municipal du Pont-de-Flandre à Paris, « piqué par la mouche qui donna au citoyen Achille Le Roy un si violent accès de carnavalite aiguë ». Et, suprême outrage, une candidature encore plus « excentrique », car féminine, ose même se profiler à la mi-juin. Si la candidate possède bien la particule lui permettant normalement de mieux ouvrir les portes de la digne institution, selon Germinal ses jupons la relèguent forcément dans sa cuisine. Le journal se gausse ainsi de Marie-Rose Astié de Valsayre, cette militante féministe, secrétaire de la Ligue d’affranchissement des femmes, qui ose revendiquer l’égalité des salaires, l’accès pour les femmes à toutes les études et professions, et même le droit de vote féminin :

« Voyez-vous quelque inconvénient à ce que les femmes entrent à l’Académie ? Je n'en vois pour ma part aucun. [...] Une question se pose pourtant : comment Mme Astié de Valsayre, étant élue, porterait-elle l’épée à poignée de nacre sur laquelle s’appuie si allègrement M. Legouvé ? remplacerait-elle ledit outil par une écumoire ou une cuiller à pot ? Grave question et qu'il ne saurait être déplacé de poser à la candidate. »

Le Roy, de son côté, bien que zélateur de l’amour libre et « partisan de l’égalité des sexes à l’Académie comme ailleurs et conséquemment sympathique à la candidature de la citoyenne de Valsayre », ne soutient pas sa concurrente et pense « dans l’intérêt de la cause sociale, devoir rentrer sous [sa] tente ».

Leur échec prévisible, lors de l’élection du 8 juin, n’empêche pas le militant de maintenir sa candidature, tout comme le fait Zola d’ailleurs. La préfecture, par peur d’un nouveau grabuge, place plusieurs gardiens de la paix pour protéger le palais Mazarin : le préfet craignait en effet que Le Roy ne vienne demander avec fracas le remboursement du prix de toutes ses marmites, comme il l’avait déjà exigé après sa visite au duc d’Aumale lors de laquelle un domestique maladroit l’avait brisée. Le Roy brille par son absence, ayant sans doute d’autres chats à fouetter puisque c’est le jour où des poursuites sont mises en place contre lui.

Il profitera par la suite de sa toute nouvelle célébrité pour se déclarer candidat à la Chambre des députés le 8 août. Là encore, il témoigne de son sens de la mise en scène, en prétendant faire sa première réunion de campagne au pied de la tour Saint-Jacques, ou, si l’autorisation lui est refusée, dans le Bazar de l’Hôtel de Ville tout proche. Mais les portes du jardin tout comme celles du grand magasin sont fermées à double tour, et Le Roy ne sera évidemment pas élu.

En 1927, après les cérémonies du dixième anniversaire de la révolution d’Octobre, Le Roy s’installe en URSS, comme d’autres communards. En mars 1929, pour le « cinquantenaire du Parti socialiste et le jubilé de ses fondateurs survivants », La Vie socialiste de Paul Renaudel évoque sa figure que « tous les militants » connaissent, sans savoir qu’il réside désormais en URSS.

À sa mort, survenue à Moscou quelques mois plus tard, sa mémoire est honorée ou simplement rappelée par quelques articles évoquant tous cette affaire. Achille Le Roy est alors salué par des journaux de gauche non communiste, notamment libertaire (Le Libertaire, 16 novembre 1929) ou socialiste (Le Populaire, 9 novembre 1929), mais est un peu plus oublié dans le reste de la presse.

Pour en savoir plus :

Tancrède Ramonet, Ni Dieu ni maître, une histoire de l’anarchisme, 1re partie, La Volupté de la destruction (1840-1914), Productions Temps noir et Arte France, 2016.

Corentin Lahu, « La retraite soviétique d'anciens communards », Fondation Gabriel Péri, mai 2021. 

Robert Brécy, « Le Drapeau rouge », Revue d’histoire moderne et contemporaine, 1er janvier 1975, p. 262-268.

Patrick Amand (dir.), Vive la Commune !, Saint-Étienne, Éditions du Caïman, coll. « Noires Nouvelles », 2021.

Anne-Sophie Chambost, « “Nous ferons de notre pire…” Anarchie, illégalisme … et lois scélérates », Droit et cultures, 74 | 2017-2.

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