Le gouverneur général de l’Algérie, Pierre Bordes, ne dit pas autrement dans un discours officiel rapporté par L’Écho d’Alger le 16 avril 1930 :

« C’est le plus généreux dessein qui nous avait conduits [en Algérie]. Après avoir libéré les mers de la piraterie barbaresque, nous prenions sous notre tutelle des tribus tyrannisées par de petits souverains locaux, vrais chefs de brigands. […]
Noble entreprise que de tirer un immense pays de sa stagnation séculaire, d’y policer et d’y remettre au travail un million et demi d’êtres humains, vivant jusqu’alors dans l’anarchie. »

Ce type de discours ne se limite pas seulement à l’Algérie. Dans les années 1880, en pleine expédition du Tonkin, on assiste à la publication de récits dénonçant la présence de pirates dans cette région. En avril 1885, le Journal des voyages et des aventures de terre et de mer accueille ainsi dans ses pages un texte appelé « les pirates du Tonkin » introduit par une image montrant une femme décapitant un homme. Cette fois, les pirates sont doublement des autres : ces non-Occidentaux symbolisent un monde à l’envers où les femmes combattent et ont le pouvoir, comme l’incarneront également plus tard les amazones du Dahomey.

Et tant pis si les « pirates » du Tonkin étaient pour beaucoup des hommes qui prenaient les armes, non pour l’appât du gain, mais contre la mainmise française sur leur région : les qualifier d’écumeurs des mers permet de les ranger, à nouveau, du côté des barbares.

La pratique recommencera par la suite. En 1909, le très populaire quotidien Le Matin fait ainsi sa Une sur les « pirates du Tonkin », suivi d’un long article signé par Paul Doumer, ancien gouverneur général de l’Indochine française.