Chronique

Plein gaz ! Les championnes automobiles françaises des Années folles

le 14/05/2021 par Édouard Sill
le 15/12/2020 par Édouard Sill - modifié le 14/05/2021

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, la féminisation de la conduite est exponentielle et encouragée. A l’instar d’un pays pionnier dans l’industrie automobile, les Françaises s’imposent lors de courses sportives et autres rallyes, devenant de véritables célébrités.

Tandis qu’en 1898 la duchesse d’Uzès eut l’honneur d’être la première Française à être verbalisée pour excès de vitesse, la pianiste Claire du Gast était rebaptisée par la presse « l’intrépide chauffeuse » pour ses périples automobiles jusqu’à Berlin en 1901. Mais elles n’étaient que des pionnières dans un monde d’hommes régnant sur quelques tacots.

Au lendemain d’une guerre industrielle qui transmua les ateliers d’antan en usines géantes, la voiture s’impose de plus en plus comme un bien de consommation et la conduite comme une activité désormais démocratisée. Puisque la guerre a fauché les hommes et que manquent cinq classes d’âge masculines, les Européennes occupent encore nombre d’emplois, y compris derrière un volant.

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En Grande-Bretagne, la ville de Leicester vante en 1925 ses cours municipaux de conduite à destination de ses administrées. En France, la féminisation de la conduite est également exponentielle, en ville comme à la campagne. Le premier club automobile féminin est créé en 1925, sous la direction de l’omniprésente duchesse d’Uzès.

L’impertinent quotidien Bonsoir, s’interroge alors sur le faible nombre de « taxi girls » à Paris et pointe le sexisme de la profession. Car tout le monde ne voit pas d’un bon œil cette nouvelle génération de « chauffeuses » des Années folles. En novembre 1927 les représentants ouvriers et patronaux réunis au Conseil supérieur du travail se prononcent, à l'unanimité, pour l'interdiction des femmes comme conductrices de tramways, d’autobus et autocars.

Peine perdue, le fourgon de la misogynie roulait vers le garage de l’indifférence et L’Intransigeant s’extasiait de cette révolution culturelle en cours :

« Avec quelle rapidité les femmes ont pris du grade au volant, si l’on peut dire, c’est extraordinaire.

Il y a un an encore, on ne voyait guère, de conductrices féminines que dans des petits cabriolets, ou des torpédos de dimensions modestes. Aujourd'hui, les plus fortes voitures, celles qui, croyait-on, nécessitaient des bras d’acier, sont menées comme des jouets par de ‘faibles’ créatures qui semblent là tout naturellement et qui, d’ailleurs, semblent avoir une délicatesse de conduite très particulière ...

Cette admiration ne va pas jusqu’à souhaiter de tomber sous leurs roues, malgré tout redoutables... »

En effet, si l’on estimait que les femmes pouvaient être aussi bonnes conductrices que les hommes, restait cependant la croyance qu’elles ne pouvaient freiner aussi promptement, ce que l’industrie vint rapidement corriger.

Mais l’auto, c’est aussi une nouvelle catégorie sportive qui passionne les foules.

L’idée germe en 1920 d’organiser un « véritable » rallye féminin. Le journal L’Auto s’en ouvre à ses lectrices, qui répondent à l’appel et relèvent le gant. Intitulée la « Coupe des dames », l’événement tient plus du gala, mais les compétitrices en auto, moto et sidecar font forte impression.

Ces tours de piste sont pourtant bientôt oubliés avec l’engouement du grand public pour les premières courses automobiles féminines.

L’Automobile Club de l’Ouest organise en 1925 un premier rallye Paris-La Baule, via Chartres, Le Mans et Angers, entièrement féminin et amateur. Les « dames », c’est-à-dire les 32 concurrentes qui « devront piloter elles-mêmes » majoritairement sur des Citroën aux cylindres inférieurs à 1 500 cm3, sont par équipage de deux dont une « mécanicienne », une acolyte qui semble laisser davantage perplexes les journalistes.

Le succès de « la première grande épreuve internationale de tourisme féminin » est au rendez-vous. Il ouvre la voie à d’autres ambitions, celles des championnats automobiles : le monde des records de vitesse, de la puissance mécanique, de l’adresse et du sang-froid des pilotes.

La première forteresse prise par les coureuses automobiles, c’est l’autodrome de Linas-Montlhéry, à trente kilomètres de Paris.

Inauguré en 1924, le circuit accueille sa première compétition féminine trois ans plus tard. L’initiative, qu’on a pris soin d’associer à un « concours d’élégance », réunit 20 pilotes féminins et est saluée par la presse, par goût pour les nouveaux défis :

« Le championnat est ouvert à toutes les conductrices possédant leur permis de conduire ; les concurrentes seront seules à bord de leur voiture et aucune aide ne pourra leur être apportée pendant la course.

Allons, voilà que l'élément féminin veut sa part de succès dans les autodromes ! »

Les ricanements furent peu nombreux, et, sauf les effarements de quelques-unes devant ces « garçonnes », la course fut un très grand succès.

« Ce fut, je me répète, un beau spectacle. Bien malin celui qui, non prévenu, aurait deviné, sous le paletot de cuir jaune canari et le bonnet blanc Mlle Colette Salomon. Encore avait-elle l’air un peu, très peu féminin.

Mais Mme Morris, casquette à carreaux bien enfoncée, de courts cheveux très ‘jeune homme’ sur la nuque, elle fumait un éternel mégot, pardonnez le mot, c’est le seul qui convienne au tronçon de cigarette collée à l'angle des lèvres de la coureuse. Quant à Mlle Louise Falk, culottée, guêtrée, coiffée d’un large feutre et pipe au bec, elle semblait un jeune garçon, en rupture de collège.

Il est vrai que le jeune garçon dirige seul une entreprise d’engrais aux environs d’Étampes et fait marcher des centaines d'ouvriers, mieux certes que ne le ferait un homme. Involontairement on est un peu choqué de ces allures garçonnières, pourtant on ne peut s’empêcher d’admirer le ‘cran’ de toutes ces sportives. Mais je songe à leurs aïeules, aux belles romantiques coiffées d’un échafaudage de boucles, étoffées de manches à gigot, enfermées dans une crinoline, aux romantiques qui, bouche souriante, petits doigts gracieusement levés attendaient la raquette en l’air, que le ‘volant’ emplumé vint rouler à quelques pas d’elles, trop ‘empotées’ et aussi trop habillées pour courir quelques mètres sans tomber.

Ce n’était pas le même volant que celui avec lequel joue Mlle Louise Falk, ingénieur chimiste, automobiliste et grande fumeuse de pipe ! »

Le championnat devient annuel, et s’impose comme un événement sportif de premier plan pour une décennie.

Après les rallyes et les circuits, c’est au tour des « raids » d’accueillir leurs premières épreuves féminines. Pendant un demi-siècle, le plus célèbre fut sans conteste le Paris-Saint-Raphaël féminin.

La première eut lieu en 1929. Le raid additionnait un rallye automobile de Paris à Saint-Raphaël, près de Fréjus, à  une épreuve de vitesse sur l’autodrome de Miramas.

Les journalistes se pressent pour couvrir le Paris-Saint-Raphaël, et les performances des coureuses impressionnent le reporter de Paris-soir :

« Comment se comportèrent les conductrices ? Ma foi, pas plus mal que les concurrents de tous les concours de tourisme, avec les mêmes défauts. »

Lors de sa rétrospective 1929 de la saison sportive automobile féminine, le journal L’Auto, est encore plus laudateur :

« Bien entendu nous éviterons de passer sous silence les conductrices qui participent, beaucoup avec succès et mérite, aux rallyes et autres concours de tourisme. Cependant nous parlerons tout particulièrement de celles qui osent se heurter à des adversaires masculins dans les épreuves de vitesse sur circuit et longues distances, cela jusque dans les catégories course et les fortes cylindrées.

Celles-ci pratiquent un sport d'une difficulté bien plus élevée ; la valeur intrinsèque de leurs performances est très supérieure. En effet, mener à pleins gaz une puissante machine de course, en luttant roues dans roues avec des spécialistes réputés conduisant des engins du même ordre, dénote chez une femme non seulement beaucoup d'audace mais encore la possession d'un savoir-faire qu'on rencontre déjà rarement parmi les pilotes masculins. »

Car les courses révèlent des championnes, des vedettes de la course automobile et des rivalités trépidantes entre les concurrentes. Les duels pour la pole position entre Colette Salomon et Violette Morris deviennent légendaires. Le Siècle met en une leur affrontement sur le circuit de Montlhéry en 1927.

Si Violette Morris, sportive accomplie au terrible destin, divise l’opinion en défrayant la chronique par ses contestations tonitruantes des assignations de genre, Colette Salomon la « danseuse bolide » s’attire les faveurs du public en demeurant dans les standards.

Tout oppose en effet les deux jeunes femmes et les journaux attendent fébrilement qu’elles se « matchent » en duel sur la piste d’un autodrome.

Lors de la troisième édition de la course automobile féminine à l’autodrome de Montlhéry, les journalistes se bousculent, et les championnes sont désormais en une ; si « élégance » n’a pas disparue des titres, le terme est désormais flanqué des mots « adresse » et « sang-froid » :

« Mais encore et surtout les très belles qualités purement sportives : l’effort, l'adresse, l'énergie, la loyauté dans la lutte sont au tout premier plan.

Car, aussi bien sur les 150 kilomètres du championnat féminin que sur les 50 kilomètres du Grand-Prix, il ne s'agit pas d'épreuves plaisantes et qu'on peut affronter avec désinvolture. »

Sur route, c’est Hellé Nice, une starlette, qui s’impose lors des épreuves du Paris-Saint-Raphaël. Avec Morris et Salomon, elle impose un troisième archétype de championne : la « sportwoman ».

Icône de la jeunesse moderne triomphante, on dit d’elle quelle est une femme de « type american girl » :

« Les soucis du ménage, la coquetterie journalière ne sont pour elle que des passe-temps d'entre deux épreuves. »

Au volant de son Oméga-Six puis sur Alfa-Romeo, elle concourt dans des épreuves mixtes.

En 1929, le magazine Match consacre une page entière à la « virtuose du volant ».

Certains ont pu la juger d’ailleurs un peu trop moderne, comme L’Intransigeant qui, par un jeu de titres, en fait une « rivale des hommes ». Ce qui n’empêche pourtant pas le quotidien de demander à la jeune sportive de prodiguer conseils de conduite et avis sur la circulation parisienne.

La féminisation de la conduite automobile pousse les constructeurs à proposer des options supplémentaires à bord et la mode féminine a tôt fait de s’adapter à son tour. Mais il n’empêche que Peugeot s’appuie sur les bons résultats des championnes pour vendre ses véhicules :

De fait, la voiture pénètre les pages féminines des journaux régionaux ; c’est « Madame au volant », tandis que se multiplient les rubriques « L’automobile féminin » dans la presse.

Le 1er avril 1930, alors que les Années folles s’achèvent, L’Écho de Paris, titrait sur un euphémisme appelé à un singulier destin : « Quelques femmes conduisent mieux que les hommes ».

Dans un sympathique poème publié en 1927, l’année faste, le journal humoristique Le Pêle-mêle avait pourtant prévenu :

« Les femmes préparaient la soupe

Hier ; Aujourd’hui ça vous la coupe !

Las !... Elles préparent la coupe ! »

Retrouvez sur Gallica la collection complète des portraits des coureuses automobiles des Années folles.

Édouard Sill est docteur en histoire, spécialiste de l'entre-deux-guerres, notamment de la guerre d’Espagne et de ses conséquences internationales. Il est chercheur associé au Centre d’Histoire Sociale des Mondes Contemporains.

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