La principauté de Monaco n'a pas toujours été l'enclave dédiée au luxe et aux paillettes qu'elle est aujourd'hui. Il y a un siècle et demi, c'était un territoire de 24 kilomètres carrés, qui englobait non seulement le village de Monaco (1250 habitants), mais aussi les communes voisines de Menton et de Roquebrune. À l'époque, la principauté vivait surtout de l'exportation de citrons et d'huile d'olive.
Mais tout bascula lorsqu'en 1860, Menton et Roquebrune furent rattachées à la France, amputant de 93 % le territoire monégasque et de 85 % sa population... Comment Monaco allait-elle survivre ? C'est le prince Charles III qui trouva la solution, grâce à une idée particulièrement audacieuse : l'ouverture d'un casino qui attirerait les touristes fortunés. Il faut dire qu'en France, les jeux sont interdits depuis 1836... Financé par le richissime François Blanc et inauguré en 1863, le casino de Monaco fera basculer le destin du micro-État.
C'est dans ce contexte que le célèbre directeur du Figaro, Hippolyte de Villemessant, se rend sur place pour écrire un long reportage sur la principauté, qui paraît le 23 février 1865. Et le moins qu'on puisse dire, c'est qu'il en revient conquis :
"Décidément, Monaco est un paradis terrestre, un délicieux petit coin du royaume des fées. Il est impossible d'y rester une semaine sans éprouver le désir d'y passer toute sa vie. […] Quatre rues, une église, deux couvents, une vaste promenade plantée d'arbres magnifiques, voilà la capitale de la Principauté. Une extrême propreté s'y fait remarquer. Cette petite ville bâtie sur un rocher m'a rappelé Tolède par l'architecture mauresque de ses vieilles maisons ; les cours ne sont pas couvertes, et c'est la différence la plus apparente."
Et d'ajouter que « dans ce petit État, il n'y a pas d'indigents et la mendicité est inconnue », avant de relater sa rencontre avec le souverain.
La fortune de la principauté, toutefois, est encore à venir. Au cours des années suivantes, les riches familles françaises et britanniques qui ont pris l'habitude de passer l'hiver sur la Riviera vont peu à peu se rendre voire s'installer à Monaco.
En 1868, une ligne ferroviaire relie la ville à Nice. En 1869, Charles III décide d'exonérer d'impôts tous les habitants, faisant de la principauté un véritable paradis fiscal et permettant à l'hôtellerie haut-de-gamme de se développer à toute allure (le superbe Hôtel de Paris, quant à lui, a été construit dès 1864). Et en 1879 est inauguré l'Opéra de Monte-Carlo, dont Sarah Bernhardt sera la première vedette à fouler les planches. Résultat, dès la fin du XIXe siècle, c'est tout le gotha international qui vient passer ses vacances à Monaco, pour jouer... et parfois y perdre des fortunes entières.
Ecrit par
Pierre Ancery est journaliste. Il a signé des articles dans GQ, Slate, Neon, et écrit aujourd'hui pour Télérama et Je Bouquine.