Certains personnages auraient mérité de rester dans l’histoire. Pierre Labric, journaliste sportif, futur maire de la Commune libre de Montmartre et surtout amateur d’exploits incongrus et spectaculaires est de ceux-là.
En juin 1923, l’homme décide d’entreprendre la descente du premier étage de la tour Eiffel… à vélo. Ce n’est certes que le premier étage mais il est tout de même situé à quelque 57 mètres du sol. C’est évidemment une première mondiale et l’exploit est commenté comme il se doit. Ainsi L’Humanité rapporte :
“Un exploit peu banal a été accompli hier matin par le journaliste Pierre Labric. Le jeune sportman a descendu, sur une bicyclette ordinaire, les 356 marches de la première plateforme de la tour Eiffel. À la fin de cette épreuve sensationnelle, qui ne sera pas recommencée de sitôt, Pierre Labric a été ovationné et porté en triomphe.”
Le Matin donne davantage de détails :
"M. Pierre Labric s'est livré hier à un exercice d'acrobatie qui a failli lui coûter la vie. Il avait fait le pari de descendre à bicyclette les 356 marches séparant le sol de la plateforme du premier étage de la tour Eiffel. Peu après le départ, il descendit beaucoup trop rapidement et faillit, en tamponnant une balustrade, être précipité dans le vide. Blessé à la tête, il n'en continua pas moins sa périlleuse descente, mais cette fois aidé par des camarades qui s'étaient postés dans les tournants. En arrivant au sol, il était un peu pâle, mais il avait réussi."
Le 10 octobre 1923, c’est l’escalier du Sacré Cœur auquel s’attaque Labric. Paris-Soir, auquel il collabore, est sur les rangs pour assister au spectacle :
“Un tumulte inaccoutumé monte aujourd'hui vers la basilique. L'escalier se couvre de formes humaines. On voit des bras qui se lèvent ; on entend des cris et des bravos. C'est la deuxième fois que notre collaborateur sportif, Pierre Labric, descend les escaliers du funiculaire de Montmartre sur sa bicyclette J.-B. Louvet. Pendant qu'il accomplit sa dangereuse performance, on se raconte ses prouesses des jours passés : les expériences de parachute, la descente de la tour Eiffel ; mille fantaisies audacieuses et cocasses dont le souvenir s'accroche à son nom comme un rayon de lumière. Il pleut ; les marches sont glissantes, qu'importe. Coiffé d'une casquette de sport, vêtu de gris, souriant, badin, il pilote hardiment sa machine. Au bas des escaliers une ovation formidable le salue. Modestement, il plaisante, il s'échappe, il disparaît. Nous le retrouvons une heure plus tard, ganté de blanc, vêtu en gentlemen, impeccable et toujours joyeux. Il se prépare à descendre l'escalier de côté du Grand-Palais. C'est un jeu d'enfant pour cet original champion.”
Le champion est victime d’une “tentative d’attentat” en novembre 1923, comme le rapportent plusieurs journaux, dont L'Ouest-Éclair :
“Il devait prendre part à une fête de bienfaisance et s’était promis de descendre à bicyclette l'escalier de la mairie du 10e arrondissement, ainsi qu'il le fit à la tour Eiffel, quand la veille, il s'aperçut que sa tire de selle était plus qu'à moitié sciée.”
Le sportman ne s’est pas arrêté pour autant, perpétuant ses prouesses d'escaliers en escaliers, avant de devenir maire de la Commune libre de Montmartre en 1934 : on lui doit notamment d'avoir instauré la fameuse fête des vendanges...
Ecrit par
Marina Bellot est journaliste indépendante, diplômée de l'Ecole de journalisme de Sciences Po. Elle a co-fondé en 2009 Megalopolis, un magazine d'enquêtes et de reportages sur la métropole parisienne, qu'elle a dirigé pendant trois ans. Elle est l'auteure de plusieurs ouvrages pédagogiques à destination des adolescents et a co-écrit une biographie de Jean-François Bizot, L'Inclassable, parue chez Fayard en 2017.