Écho de presse

George Kimpton, tacticien des Bleus devenu entraîneur de prisonniers de guerre

le 08/08/2018 par Jean-Marie Pottier
le 09/07/2018 par Jean-Marie Pottier - modifié le 08/08/2018
Les joueurs et l’encadrement de l’équipe de France, dont George Kimpton, au départ du train pour la Coupe du monde 1934, dans L'Excelsior - source : RetroNews-BnF

Ce stratège britannique a introduit une révolution tactique dans le football français à l’occasion de la Coupe du monde 1934 – et a poursuivi son activité d’éducateur jusqu’aux camps de prisonniers de la Seconde Guerre mondiale.

Nous sommes en janvier 1936 et l’équipe de France de football s’apprête à disputer son premier match de l’année – une déroute contre les Pays-Bas à Paris (1-6).

L’Intransigeant raconte à ses lecteurs comment l’entraîneur des Bleus, George Kimpton, a l’habitude, avant le match, de s’enfermer avec ses joueurs dans une pièce pour « tel un magister de la bonne tradition, dévoiler des secrets de stratégie au tableau noir ».

Deux ans plus tôt, lors de la Coupe du monde en Italie, il avait eu recours à un plateau de service à café pour improviser sa démonstration tactique. Depuis, son attirail s’est modernisé avec « un merveilleux tableau de démonstration tout à fait inédit » :

« Mais qu’est-ce donc que ce tableau magique ? Une plaque de tôle représentant un terrain de jeu. Une plaque de tôle aimantée !

Vous saisissez tout de suite qu’il est facile d’y faire se mouvoir de petits personnages en fer – les joueurs – quand elle occupe la verticale et que, par conséquent, elle est visible pour tout l’auditoire.

Plus de craie, plus de chiffon mouillé. Des pions à déplacer. C’est merveilleux. »

Kimpton est un homme d’organisation et de système, et cela ne passe pas toujours très bien quand, au printemps 1934, il est convié à assister l’équipe de France. Si Paris-Soir estime alors qu’« il ne faut pas que notre représentation nationale se contente de parodier à la Coupe du Monde : voir Rome et mourir », ce n’est pas pour autant pour accepter l’idée d’un entraîneur venu de l’étranger :

« Croit-on vraiment qu’un entraîneur étranger soit indispensable ? Pour notre part, non.

Nous avons déjà dit ici que la principale qualité d’un entraîneur était la psychologie. Sur ce point, seul un homme de chez nous peut comprendre nos compatriotes. »

Kimpton ne sera pas officiellement sélectionneur de l’équipe de France mais seulement affecté à un rôle de préparateur tactique.

Les Bleus sont éliminés au premier tour par l’Autriche (2-3 après prolongation) mais se sont trouvés une âme et surtout, une organisation, que Kimpton a importée de son pays natal. Alors que le système le plus répandu est alors celui de la « pyramide » (deux défenseurs, trois milieux de terrain, cinq attaquants), lui impose celui dit du « WM » : trois attaquants, deux lignes de deux milieux et trois défenseurs, qui forment sur le terrain un W et un M.

Même Paris-Soir, sceptique quelques semaines plus tôt, finit par convenir de son intérêt :

« On vit aussi une discipline extraordinaire avec l’équipe de France, chaque homme étant bien à sa place.

Son action était nette, efficace, on sentait qu’elle obéissait scrupuleusement à une tactique donnée par un maître, l’entraîneur Kimpton, qui, dans le peu de temps qu’il disposa, a su tout de même faire cadeau à l’équipe de France d’un atout qui lui manquait : une tactique. »

L’Action française renchérit :

« C’est un Anglais flegmatique, M. Kimpton. Il baragouine avec peine le français, mais il connaît son affaire, bien entendu, il a du bon sens, et il se fait comprendre sans phrases.

Quand il n’y arrive pas avec les paroles, il fait un dessin. »

Kimpton est rappelé au chevet des Bleus en 1935 puis, dans la foulée, recruté comme entraîneur du Racing de Paris – tout en continuant à les assister à ses moments perdus. Mais si le « football alphabétique » qu’il préconise a ses partisans (« Libre à [ses opposants] de préférer les lampes à pétrole et les diligences ; mais qu’ils n’essaient pas de nous dégoûter de l’électricité et des autocars », écrit en novembre 1935 L’Intransigeant), Kimpton n’a pas pleinement les moyens de l’appliquer, puisque ce n’est pas lui qui sélectionne les joueurs.

En octobre 1935, alors que la France vient d’essuyer sa quatrième défaite de l’année en six matchs, il laisse éclater sa colère dans les colonnes de L’Intransigeant :

« Je vais mettre tout le monde d’accord en déclarant que ma tactique n’est pas plus celle du W que celle de l’Y ou du Z !

J’ai, c’est certain, une tactique. Elle est simple, élémentaire. C’est celle de l’A.B.C., c’est-à-dire celle du bon sens. [...]

D’ailleurs, à mon avis, une tactique ne doit pas être immuable. Elle doit changer, se plier aux circonstances de jeu, être par conséquent souple, élastique, si j’ose dire. »

Avant, en mars 1936, de publier un long texte sévère sur le fonctionnement du football français dans les colonnes du Journal :

« J’ai peur que l’autorité de nombreux entraîneurs ne soit dépassée par celle de certaines personnes, qui ne sont pas officielles mais dont le rôle est d’“aider” leur club.

Maintenant je pose une question : pourquoi la Fédération engage-t-elle un entraîneur, un masseur, si elle ne leur laisse pas la liberté d’agir et si elle n’a pas confiance en eux ?

Chaque homme à son poste. Certains officiels n’ont jamais donné un coup de pied dans un ballon. »

Lâché par la fédération, il continue son parcours en club, remportant le doublé championnat-coupe de France en 1936. Avant de connaître, deux ans plus tard, une brève expérience à Metz, vite avortée sur fond de tensions internationales au moment de la crise des Sudètes.

En octobre 1938, alors que l’armée française vient de connaître deux semaines de mobilisation, Ce soir écrit que « le départ de Metz de Kimpton durant les heures graves qui se sont déroulées surtout dans notre région de l’Est, et son absence prolongée, non autorisée, ont mieux fait sentir encore le besoin d’une intervention » des dirigeants du club lorrain.

Le coach britannique le quitte avant même la fin de saison pour Rouen, puis part pour le Sud l’année suivante, après la débâcle.

Avec l’occupation de la zone Sud, en novembre 1942, il est jugé suspect par l’occupant du fait de sa nationalité britannique et interné, avec nombre des compatriotes, dans le camp de Saint-Denis. Où, pendant deux ans, il met en place une vie sportive détaillée après la Libération par Ce soir :

« Tous les sports furent à l’honneur dans l’enceinte de la grande caserne, depuis le volley-ball jusqu’au golf miniature en passant par le tennis et le base-ball. Mais le football y était particulièrement suivi.

On y trouvait des joueurs de classe. On y vit en 1942 un match Angleterre-Afrique du Sud, des rencontres internationales, nationales ou corporatives : Londres contre Birmingham, jockeys contre garçons de café, anciens contre jeunes.

Kimpton, inlassable, réglait tous les scenarii. »

Dès septembre 1944, le coach britannique fera son retour sur les bancs de touche, s’attirant l’hommage du même quotidien :

« Inutile d’ajouter que le “coach” anglais put apprécier dans quelle estime le tenait le monde du football. À combien de manifestations de sympathie ne dut-il pas répondre, en rougissant d’ailleurs ! »