Écho de presse

Céleste Mogador et l’origine du French Cancan

le 24/11/2018 par Priscille Lamure
le 07/11/2018 par Priscille Lamure - modifié le 24/11/2018
« L'époque 1895 revivra, ce soir, au bal Toulouse-Lautrec », photo tirée de L'Intransigeant, 1935 - source : RetroNews-BnF
« L'époque 1895 revivra, ce soir, au bal Toulouse-Lautrec », photo tirée de L'Intransigeant, 1935 - source : RetroNews-BnF

Au milieu du XIXe siècle, la danseuse française Céleste Mogador rend célèbre une danse affriolante, le « cancan ». Celle-ci s’apprête à rencontrer un grand succès outre-Manche sous le nom de French Cancan.

Née en 1824 dans une modeste famille parisienne, la jeune Céleste Vénard quitte tôt le domicile familial pour échapper à l’emprise violente de son beau-père. Recueillie par une prostituée, Céleste devient à son tour une « fille publique », vivant parmi celles que l’on appelle alors les Lorettes.

Pour gagner son pain, la jeune fille danse dans les cabarets et fréquente les bals publics, où elle se fait remarquer pour ses talents scéniques. Elle apparaît d’abord dans la revue du Théâtre Beaumarchais, avant d’entamer une modeste carrière d’écuyère.

« Célébrée comme femme et comme danseuse par d’innombrables journaux et brochures, mise en couplets, en acrostiches et en chansons, la Mogador fit ses débuts sur la scène, dans la revue du Théâtre Beaumarchais […].

Quelques mois après, le Théâtre Beaumarchais étant fermé, Céleste Mogador débutait dans le spectacle d’ouverture du Nouvel Hippodrome de l’Étoile, en qualité d’écuyère. »

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Durant deux saisons, elle est donc acclamée pour ses exploits équestres au Cirque olympique, lorsqu’un accident la contraint à renoncer définitivement à cette carrière. Elle remonte alors sur les planches d’un célèbre établissement de danse parisien, le bal Mabille.

Durant l’entre-deux-guerres, L’Européen rappelle avec nostalgie l’effervescence du milieu du XIXe siècle et l’ambiance festive des bals et cabarets de la Monarchie de Juillet, visions sans doute fantasmées d’un Tout-Paris qui s’encanaillait en dansant :

« Autour de cette fille évolue tout un monde de fêtards, de bohèmes et de prostituées.

C’est l’époque où la polka triomphe au bal Mabille, où les boulevards rutilent, par tant de devantures étincelantes, de la lumière du gaz, cafés, théâtres, galeries et passages où le beau monde se presse admiratif et gouailleur à la fois. »

C’est à ce moment-là que la jeune Céleste prend le surnom de Mogador, trouvé par son ami danseur Birididi – en référence au port marocain de Mogador, qui vient alors d’être bombardé. Ce nom est bientôt sur toutes les lèvres ; Céleste se révèle, aux côtés de son amie Pomaré, une des danseuses favorites du bal Mabille où elle ne cesse de se faire remarquer par ses danses – et ses tenues souvent affriolantes.

Le Journal des débats politiques et littéraires rapporte ainsi la description de la Mogador telle que dépeinte au début du Second Empire par les frères Goncourt, écrivains mondains par excellence :

« Ses cheveux relevés en neige aux deux tempes se torsadaient opulemment au chignon dans les lacs d’un velours vert qui cascadaient sur l’épaule…

Sa robe s’échancrait à la taille et s’ouvrait sur le plus précieux pectoral, étageant jusqu’aux premières lignes du cou ses bouillons de malines ! »

Céleste Mogador (1824-1909), danseuse devenue comtesse de Chabrillan, 1854, Mayer frères - source : Gallica-BnF
Céleste Mogador (1824-1909), danseuse devenue comtesse de Chabrillan, 1854, Mayer frères - source : Gallica-BnF

Dans les établissements de spectacle et les bals publics de cette époque, une danse est particulièrement prisée des danseurs et des spectateurs : le chahut, aussi appelé « chahut-cancan ». Cette danse de couple dont la chorégraphie est inspirée de la polka consiste en un quadrille, durant lequel les danseurs disposent de moments d’improvisation.

Les danseuses s’en donnent alors à cœur joie afin d’effaroucher les spectateurs, et n’hésitent jamais à laisser entrevoir, dans un mouvement de jambe particulièrement périlleux, les culottes fendues qu’elles portent sous leurs longues robes.

Entre-temps, en 1850, Céleste est devenue la « reine du bal Mabille ». Afin de conserver sa popularité, elle invente une nouvelle façon de danser ce fameux cancan, en ajoutant à la chorégraphie des positions d’autant plus acrobatiques. Le succès de cette danse est immédiat.

La foule mondaine du Second Empire se presse pour assister à ses représentations légères qui, selon le Journal des débats politiques et littéraires, ravissent principalement les messieurs – bien qu’elles soient considérées comme « immorales » par les autorités veillant au respect des bonnes mœurs :

« Elle était la joie et l’orgueil de la danse échevelée ; à ses premiers pas, elle avait fait revenir la mode des chignons flottants, elle avait inventé une danse qui était la joie et le désespoir des gardes champêtres, charmés en leur qualité d’hommes, et désolés en leur qualité de préposés aux bonnes mœurs, l’homme et le magistrat se combattant à armes égales dans ces faibles cœurs ! » 

Les spectacles pleins de gaieté et de jupons retroussés présentés par Céleste Mogador connaissent vite une large renommée.

C’est ainsi qu’en 1868, le producteur anglais Charles Morton importe cette danse à succès et met en scène pour la toute première fois à Londres le French Cancan (le Cancan français). Sur des musiques d’opérette inspirées d’Offenbach, les danseuses londoniennes font revivre outre-Manche, à travers le cancan, une image largement caricaturale de la légèreté « à la française ».

Dès lors, le French Cancan est considéré comme la danse populaire française par excellence, à l’étranger donc mais également à Paris, où elle se verra bientôt immortalisée par les peintres du Montmartre décadent des années 1890 comme Toulouse-Lautrec.

« Le French Cancan à Londres », photographie tirée de L'Intransigeant, 1935 - source : RetroNews-BnF
« Le French Cancan à Londres », photographie tirée de L'Intransigeant, 1935 - source : RetroNews-BnF

Céleste Mogador quant à elle devient comtesse en épousant, en 1854, l’aristocrate Lionel de Chabrillant. Elle opère alors un revirement inattendu dans le but de racheter son image de danseuse frivole ainsi que son passé aventureux – mais sans grand succès. La même année elle publie ses Mémoires, qui font scandale, et lance la vogue des autobiographies de danseuses de cancan, ouvrages un temps très prisés des lecteurs français.

Après la mort de son mari, elle poursuivra sa nouvelle carrière de femme de lettres en publiant une douzaine d’œuvres de fiction. Quelques années plus tard, elle lancera en outre la carrière de Louise Weber, qui deviendra la célèbre Goulue.

C’est cette dernière qui réintroduira finalement le French Cancan londonien en France à la fin du XIXe siècle et qui, avec Nini Pattes en l’air ou Grille d’Égout, deviendra parmi les plus célèbres cancaneuses du Lido, du Paradis Latin ou du Moulin Rouge.

Céleste Mogador décèdera sans le sou en 1909 à Paris, au bel âge de 85 ans.

Pour en savoir plus :

Jacques Bouillon, Guinguettes et lorettes. Bals publics et danse sociale à Paris, de 1830 à 1870, in: Revue d’Histoire moderne et contemporaine, 1987

François Gasnault, Les salles de bal du Paris romantique ; décors et jeux des corps, in: Romantisme, 1982