Écho de presse

Jean Mermoz, légende de l'aviation et militant des Croix-de-Feu

le 13/05/2020 par Pierre Ancery
le 28/04/2019 par Pierre Ancery - modifié le 13/05/2020
Conférence de l'aviateur Mermoz, agence Meurisse, 1935 - source : Gallica-BnF
Conférence de l'aviateur Mermoz, agence Meurisse, 1935 - source : Gallica-BnF

Figure mythique de l'Aéropostale, l'aviateur Mermoz fut aussi en 1936 l'un des fondateurs du Parti Social Français, mouvement de la droite nationaliste et conservatrice dirigé par le colonel de La Rocque.

On le surnommait « l'Archange ». « La route céleste l'attirait comme un aimant », écrira de lui Joseph Kessel qui, comme Antoine de Saint-Exupéry, comptait au nombre de ses amis et admirateurs. Dans l'entre-deux guerres, l'aviateur Jean Mermoz (1901-1936) fut une véritable star, une vedette dont la silhouette athlétique s'exposait en Une des journaux et dont chacun des exploits était retranscrit par une presse éblouie.

Entré dans les lignes Latécoère (future Aéropostale) en 1924, ce pilote d'exception commença par y assurer les liaisons Toulouse-Barcelone ou Casablanca-Dakar, des trajets à l'époque incroyablement dangereux. En 1926, suite à un atterrissage forcé, il est capturé par des Maures en plein désert et, libéré contre rançon, doit regagner à pied le poste d’escale de Cap-Juby.

Archives de presse

La Guerre d’Espagne à la une, 1936-1939

Reportages, photo-journalisme, interviews et tribunes publiés à la une à découvrir dans une collection de journaux d'époque réimprimés en intégralité.

En savoir plus

En 1927, il défraye la chronique en réussissant en 23 heures et 30 minutes le vol Toulouse-Saint-Louis (au Sénégal). En 1929, forcé d'atterrir en pleine montagne alors qu'il survole la cordillère des Andes avec son mécanicien Alexandre Collenot, il parvient à repartir au bout de trois jours en lançant son avion dans un précipice afin de garder la vitesse nécessaire au décollage. Un exploit hallucinant qui lui permettra d'entrer dans la légende.

Archives de presse

L'aviation à la une

Une collection de journaux réimprimés en intégralité pour revivre l'aventure des débuts de l'aviation à travers les titres, récits et photos qu’ont connus les lecteurs d’alors.

Commander

En mai 1930, nouvelle prouesse : parti d'Afrique, il traverse pour la première fois l'Atlantique-Sud à bord d'un hydravion, prouvant ainsi que la liaison postale entre les deux continents est possible. Le Petit Parisien commente :

« L'aviateur Jean Mermoz, ainsi qu'il était prévu, a magnifiquement inauguré le nouveau service postal aérien de la Compagnie aéropostale. Parti de Saint-Louis du Sénégal lundi à 10 h 5 (heure de Paris), à bord d'un hydravion Latécoère moteur Hispano-Suiza, il se posait devant Natal hier à 8 h. 10 (heure de Paris), ayant mis 22 heures 5 minutes pour franchir les 3 200 kilomètres qui séparent les deux continents, à la moyenne horaire remarquable de 144 kil. 905. »

En 1932, Joseph Kessel raconte dans les colonnes du Matin son déjeuner avec Saint-Exupéry et Mermoz. Ce dernier narre aux deux autres une anecdote digne d'un roman d'aventures : 

« Il m'est arrivé de voir une autre sorte de village, dit Mermoz avec un léger frisson. Je suivais la côte, faisant un courrier. Sous moi, il n'y avait que l'océan et la forêt vierge. Soudain, mon moteur commence à se dérégler. Je continue en descendant peu à peu et cherchant un coin pour un atterrissage possible. J'aperçois, à ma grande joie, un bout de terrain défriché et quelques masures.

 

Je me pose comme je peux et me prépare à regarder le moteur, lorsque je vois arriver en courant un habitant du hameau un lépreux. Puis deux autres, encore lépreux ; puis toute une troupe lépreuse. J'avais atterri près d'un village de lépreux. Vous savez que je me suis posé en danger de mort dans bien des endroits. Je n'ai jamais eu très peur. Mais là, je fus saisi par l'effroi, car la superstition des lépreux exige qu'ils embrassent des hommes sains pour se guérir. Ils m'entouraient, affreux, avides.

 

Je pris mon revolver, tirai deux fois en l'air. Ils se débandèrent. Alors, sans revoir mon moteur, je décollai. Je pus arriver jusqu'à l'escale suivante tant bien que mal. J'ai mieux aimé ma panne au Paraguay où je fus fait prisonnier par des Indiens sauvages, mais sympathiques, qui me gardèrent une quinzaine de jours à monter à cheval, à chasser et pêcher avec eux. »

Mais l’aviateur héroïque se préoccupait aussi de politique : au milieu des années 1930, il milite au sein des Croix-de-Feu, organisation d’anciens combattants nationaliste et conservatrice dirigée par le célèbre colonel de La Rocque. Ce dernier, profitant de la renommée de Mermoz, l'intègrera rapidement parmi les instances dirigeantes.

 

Le Figaro raconte en mars 1936 une conférence donnée conjointement par les deux hommes salle Wagram, à Paris :

« En présence d'une assistance considérable, le grand aviateur Jean Mermoz a fait, hier soir, salle Wagram, une conférence sous la présidence du colonel de La Rocque. Il a retracé l'histoire de la ligne aérienne de 11 000 kilomètres qui rattache Toulouse à Santiago-du-Chili. Il a montré que cette ligne pouvait vivre commercialement et que si l'État était incapable de la continuer, l'initiative privée était à même de suppléer à la carence du gouvernement.

 

Il s'est élevé contre l'idée d'une entente franco-allemande pour assurer le service aérien France-Amérique du Sud. Ayant fait allusion à la politique d'action sans résultat du gouvernement, il a déchaîné les applaudissements enthousiastes de la foule. »

Emmanuel Chadeau, biographe de Mermoz, explique que ce dernier s'est tourné vers les Croix-de-feu après la liquidation de la Compagnie générale aéropostale, qui conduisit nombre de ses collègues pilotes à se retrouver sans emploi. Une liquidation à la suite de manœuvres économico-politiques vécue par Mermoz comme une « trahison des dirigeants », comme le raconte l'historien.

Mermoz, qui écrit de multiples articles dans Le Flambeau, le journal du mouvement, devient dans ces années-là une figure importante de ce que l'on nomme alors la « droite d'ordre » française. En juin 1936, toutefois, les ligues sont dissoutes par le Front Populaire et les Croix-de-Feu disparaissent. La Rocque crée alors le Parti social français (PSF), appelé à devenir juste avant la Seconde Guerre mondiale le premier parti de France en nombre d'adhérents. Mermoz, co-fondateur, en est le vice-président.

 

Organe de tendance nationaliste, mais refusant l'antisémitisme et s'opposant à la fois au communisme et au nazisme, et dont le caractère « fasciste » fait aujourd’hui encore l’objet d’une querelle d’historiens, le PSF donne sa première réunion en juillet 1936 à Paris. Le journal conservateur L'Écho de Paris raconte la prise de parole de l'aviateur :

« M. Mermoz s'avança ensuite devant le micro. Imaginez un garçon athlétique, à la figure réfléchie et ardente à la fois. Un orateur ? Certes pas. Mais mieux : un homme de cœur qui parle avec la simplicité émouvante de fortes convictions. Son bref discours fut tout entier un acte de foi au chef du Parti social français.

 

– J'ai, dit-il, la mystique du chef. Nous l'avons tous dans notre métier. On ne critique pas un chef de bord et je ne comprends pas qu'un membre de l'équipage puisse se lever pour essayer de le frapper dans le dos. Le colonel de La Rocque, mon chef, auquel j'ai donné le meilleur de moi-même, je le mets sur le même plan que mon métier – et cela, vous savez, c'est le maximum de ce que je peux vous dire. Je ne m'appartiens pas. J'ai trouvé un chef – je le garde !

 

Une formidable ovation salua ces paroles, tandis que le colonel de La Rocque, empoignant le grand aviateur pendant qu'il regagnait sa place, lui donnait une accolade fraternelle. »

La création du PSF, descendant quelque peu assagi des Croix-de-Feu, vaudra des ennuis à ses dirigeants. En octobre 1936, Excelsior annonce que « pour “reconstitution d'une ligue dissoute et provocation à l'attroupement”, le colonel de La Rocque, l'aviateur Mermoz et quatre membres du Parti Social Français ont été inculpés hier » :

À la gauche de l’échiquier politique, l’affiliation de Mermoz à la droite de La Rocque va ternir son image auprès de certains observateurs. Commentant l'affaire, le journal socialiste Le Populaire désignera ainsi le 6 novembre 1936 l'aviateur comme « le fasciste Mermoz » :

Le 7 décembre de la même année, Mermoz disparaît dans l’Atlantique à bord de l'hydravion la Croix-du-Sud. Il avait derrière lui 8 200 heures de vol.

 

Sa mort est aussitôt vécue comme un traumatisme national, et six jours plus tard il est, avec son équipage, cité à l'ordre de la Nation par le gouvernement de Front populaire de Léon Blum, ses « ennemis » politiques. Personne, alors, ne songe à lui reprocher son engagement aux côtés de La Rocque.

 

Mermoz reste une légende de l'aviation, légende qu'entretiendra Kessel qui lui consacre une série d'articles en 1938. Le 28 avril, il raconte l'épisode mythique de son accident dans les Andes, qu'il désigne comme l' « un des plus extraordinaires exploits que l'histoire de l'aviation ait enregistrés », qui « fait de Mermoz, aux yeux des Américains du Sud, une sorte d'être surhumain ».

 

Pour en savoir plus :

 

Jean Mermoz, Mes vols, Flammarion, 1937

 

Emmanuel Chadeau, Mermoz, Perrin, 2000

 

Catherine Herszberg, Anne Proenza, Mermoz, Le Cherche-Midi, 2002