Écho de presse

Henri Guillaumet, le pilote miraculé des Andes

le 16/08/2020 par Nicolas Skopinski
le 28/04/2020 par Nicolas Skopinski - modifié le 16/08/2020
Le brevet de pilote de la Fédération aéronautique d’Henri Guillaumet, 1921 - source : musée Guillaumet-WikiCommons
Le brevet de pilote de la Fédération aéronautique d’Henri Guillaumet, 1921 - source : musée Guillaumet-WikiCommons

En juin 1930, Henri Guillaumet, pilote de l’Aéropostale et ami de Saint-Exupéry, disparaît en pleine tempête au-dessus de l’Amérique du Sud. Donné pour mort, il luttera cinq jours contre les éléments pour survivre.

Le guide argentin de Mendoza secoue la tête. « Les Andes, en hiver, ne rendent point les hommes », conclut-il. Face à lui, Antoine de Saint-Exupéry enrage. Ce 14 juin 1930, le célèbre écrivain et pilote de l’Aéropostale, cherche désespérément un moyen de sauver son ami, Henri Guillaumet. 

Cinquante heure déjà qu’il a disparu, son petit Potez-25, chargé de sacs de courriers, avalé par la montagne sud-américaine, la Cordillère des Andes. Chaque minute qui passe affaiblit l’espoir de retrouver ce pionnier de l’aviation en vie, comme le relatera « Saint-ex » dans Terre des hommes, des années plus tard.

« Il nous semblait que cent escadrilles, naviguant pendant cent années, n'eussent pas achevé d'explorer cet énorme massif dont les crêtes s'élèvent jusqu'à sept mille mètres. 

Nous avions perdu tout espoir. »

Au même moment, en France, l’information n’est pas encore arrivée. Ce n’est que le 16 qu’une dépêche lapidaire en provenance de Santiago du Chili est reprise dans la plupart des quotidiens français, tels que Le Petit Parisien.

« Le bureau de la Compagnie générale Aéropostale annonce que l’on est sans nouvelles de l’aviateur Henri Guillaumet […]. 

On croit que l’aviateur a été forcé d’atterrir dans un endroit isolé, par suite de la tempête. »

Le ton des dépêches, froid et factuel, ne donne pas la mesure de la lutte homérique que le pilote français est en train de livrer pour survivre.

Le 19 juin, une nouvelle dépêche est publiée dans L'Excelsior. L’espoir n’y est pas encore totalement abandonné, mais presque. Cinq jours après sa disparition, Guillaumet demeure introuvable. Il semble englouti à jamais.

« Un pilote militaire et quatre aviateurs civils argentins sont partis ce matin participer aux recherches qui sont effectuées par les pilotes de la Compagnie Aéropostale. »

Parmi eux, Antoine de Saint-Exupéry continue de survoler les Andes, dans une vaine recherche. Ils sont découragés par les officiels argentins et chiliens, qui ne croient pas à la survie de l’aviateur de l’Aéropostale.

« Les officiers chiliens, eux aussi, nous conseillaient de suspendre nos explorations.

“La nuit, là-haut, quand elle passe sur l'homme, elle le change en glace.”

Et lorsque, de nouveau, je me glissais entre les murs et les piliers géants des Andes, il me semblait, non plus te rechercher, mais veiller ton corps, en silence, dans une cathédrale de neige. »

Pourtant, le miracle a lieu. Le 21 juin, une dépêche en provenance de Mendoza l’assure : Guillaumet est en vie, comme le relate L'Écho de Paris. Des détails arrivent le lendemain, dans Le Petit Parisien.

« L’aviateur dont on était sans nouvelles depuis sept jours, a été retrouvé hier dans la région de la Cordillère des Andes […].

Il a immédiatement reçu les soins que nécessitait son état. Sa jambe droite est gelée et il souffre de contusions sur tout le corps. »

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À la nouvelle, Antoine de Saint-Exupéry décolle et part à l’aérodrome de San Rafaël, en Argentine. Il retrouve son ami dans un piètre état.

« Tu exprimas, et ce fut ta première phrase intelligible, un admirable orgueil d'homme :

“Ce que j'ai fait, je te le jure, jamais aucune bête ne l'aurait fait.” […]

Ton corps n'oubliait pas les rochers ni les neiges. Ils te marquaient. J'observais ton visage noir, tuméfié, semblable à un fruit blet qui a reçu des coups.

Tu étais très laid, et misérable. »

L’aventure de Guillaumet interpelle la presse. Les journalistes veulent en savoir plus sur cet homme qui a vaincu les éléments. « L’aventure de Guillaumet l’aviateur français “courrier du Chili” » titre Le Matin le 22 juin. Pour Le Petit journal, il s’agit d’une « odyssée ».

« Il a marché pendant trois jours et trois nuits sans arrêt pour réagir contre le froid.

Ayant glissé dans un précipice de 800 mètres de profondeur, il a perdu son sac de vivres et est resté deux jours sans nourriture. Malgré l’épuisement et le découragement, il a poursuivi sa route. »

Taiseux, le pilote mettra plusieurs mois avant de sortir de son silence. Il revient sur son aventure les 20 et 21 octobre, dans L’Écho de Paris, mais refuse qu’on parle « d’exploit ».

Il savait que la météo n’était pas bonne. Mais il a tenté une percé dans la masse nuageuse. C’est à 6 500 mètres d’altitude que l’attendait la tempête de neige. En trois minutes, son avion perd 3 000 mètres d’altitude, du fait du vent et des trous d’air. Expérimenté, il ne panique pas et aperçoit la lagune Diamante. Entourée de collines, elle le protège des vents violents. Mais la tempête l’assiège. Pendant deux heures il tourne en rond dans son abri, et, bientôt, le carburant manque. C’est l’atterrissage en catastrophe.

« L’infortuné aviateur se trouve alors seul dans un immense désert glacial, que la tempête emplit de ses chants de mort ; la neige tombe toujours en rafales aveuglantes, Guillaumet juge sa situation désespérée.

Au moyen d’une porte visite de l’appareil, il fait un trou dans la neige sous le plan de l’avion retourné et s’y glisse avec les vivres et le courrier et… attend la fin de l’épouvantable tourmente. »

Incapable de se tenir debout en raison du vent, Guillaumet se terre 48 heures. Le temps s’éclaircit, il aperçoit même un avion de secours. Malgré une fusée envoyée, l’appareil s’éloigne.

« Une seule chance de salut s’offre à lui : gagner la plaine argentine, distante de 60 kilomètres.

Mais il n’y parviendra qu’après avoir franchi plusieurs cols géants, dont l’un à plus de 4 000 mètres d’altitude. »

Equipé d’une boussole, d’un réchaud à alcool solidifié, d’une lampe électrique, de quelques vivres, il s’en va, après avoir gravé sur la carlingue de son avion détruit : « N’ayant pas été repéré par l’avion, je pars vers l’Est. Adieu à tous, ma dernière pensée va à ma femme. »

Les efforts sont surhumains. Il ne doit pas s’endormir, sous peine de ne pas se réveiller. Il tombe, gèle, se blesse, perd ses vivres, puis un gant, puis sa boussole… puis tout espoir.

« Il songe à s’étendre dans la neige et à attendre la délivrance par la mort. »

Il révélera plus tard à son ami Saint-Exupéry la raison pour laquelle il s’est relevé. Une question d’argent, à un instant où il n’était plus question de revenir en vie, mais de faire en sorte que son corps soit vite retrouvé.

« Ton corps, l'été venu, roulerait avec cette boue vers une des mille crevasses des Andes. Tu le savais. Mais tu savais aussi qu'un rocher émergeait à cinquante mètres devant toi :

“J’ai pensé : si je me relève, je pourrai peut-être l'atteindre. Et si je cale mon corps contre la pierre, l'été venu on le retrouvera.” »

Reparti, il ne s’arrête finalement pas sur son rocher, et poursuit. Pour éviter un nouveau col, il fait un détour et traverse, sans équipement, épuisé, le rio Llancha où il se noie presque.

« Le mercredi 17 juin, avant le lever du jour, en marchant sur les bords du rio qu’il avait enfin franchi, Guillaumet fait une chute de cinquante mètres dans un ravin : il reste longtemps inanimé et lorsqu’il repart ses jambes peuvent à peine le porter. »

Un rapace vole au-dessus de lui, attendant la chute finale. Mais le lendemain, après s’être nourri d’herbes, Henri Guillaumet retrouve la plaine argentine… d’où émerge une piste. C’est en la suivant qu’il aperçoit des éleveurs, qui s’enfuient, effrayés. De rage, il s’évanouit.

Quand il se réveille, il est alité, en vie. Son ami Saint-Exupéry vient de prévenir par télégramme qu’il arrivait.

Le mythe de l’Aéropostale devient concret avec l’histoire de Guillaumet. La France prend conscience du courage de « ses héros » des airs. Derrière chaque exploit technique, se cache un homme, comme le relève peu après l’accident L’Intransigeant.

« Si le génie des hommes a créé la machine volante, c’est bien l’audace d’autres hommes qui a fait de l’aviation ce qu’elle est.

Des pilotes ont obtenu un rendement inattendu des avions ; leur foi, leur passion, leur désir de vaincre leur fit accomplir des prodiges.

Combien de fois les limites de la résistance humaine furent reculées. »

Si Guillaumet a pu résister aux Andes, la guerre toutefois l’emportera, après l’armistice signé. Son Farman sera ainsi abattu, par erreur, par un pilote italien au large de la Tunisie, le 27 novembre 1940.

Pour en savoir plus :

Antoine de Saint-Exupéry, Terre des hommes, 1939, Gallimard

Michel Datcharry, Guillaumet, l'ange de la cordillère, VOolume, 2013