Écho de presse

Cabinets, Grévin, Tussaud : vogue des figures de cire et goût du macabre au XIXe siècle

le 09/08/2020 par Pierre Ancery
le 03/08/2020 par Pierre Ancery - modifié le 09/08/2020

Véritables temples de l'illusion, le musée Grévin à Paris ou le Madame Tussaud à Londres attirent dès le XIXe siècle un public nombreux avec leurs « figures de cire » représentant célébrités de l'époque, criminels et personnages historiques.

Les « figures de cire », représentations grandeur nature de personnalités historiques, contemporaines ou imaginaires, existent depuis longtemps. Sous Louis XIV, Antoine Benoist réalisait des sculptures en cire du roi et des personnages de la cour, qu'il présentait au public dans un cabinet rue des Saint-Pères, à Paris.
 

À la fin du XVIIIe siècle, le sculpteur en cire le plus célèbre en France est Curtius. Ce médecin anatomiste crée successivement plusieurs cabinets ouverts au public, le dernier étant situé boulevard du Temple. On y trouve des personnalités de l'époque représentées en taille réelle, tels Voltaire, Rousseau ou Benjamin Franklin.
 

Mais Curtius est aussi le mentor de Marie Grossholtz, future épouse Tussaud, qui donne ses lettres de noblesse au musée de cire en ouvrant à Londres en 1835 le fameux « Madame Tussauds ». Situé à Baker Street, ce musée devient célèbre pour sa « Chambre des horreurs » mettant en scène divers crimes et exécutions.
 

À une époque où les exécutions publiques sont monnaie courante, la fascination pour les figures de cire va en effet de pair avec le goût du macabre. Ce que révèle cette anecdote rapportée en 1849 par La Gazette du Languedoc :

« Gleeson Wilson, condamné à la peine capitale pour assassinat commis, il y a plusieurs mois, avec une atrocité rare, a été exécuté le 15 à Liverpool (Angleterre) […]. Les curieux étaient accourus de plusieurs milles et même d’une centaine de milles à la ronde ; on comptait au moins cent mille spectateurs entassés, dès l’aube du jour, dans la vaste pleine de Kilkdale, lieu fixé pour l’exécution.
 

Mme Tussaud , tenant à Londres un cabinet de figures de cire, où sont reproduits, non seulement les traits des grands criminels, mais tous les détails les plus minutieux du forfait pour lequel ou les a condamnés, avait eu soin d’envoyer à Kilkdale un fondé de pouvoirs, afin d’acheter de l’exécuteur les habillements du patient. M. Bailly, célèbre phrénologiste, s’était également rendu sur les lieux, afin de pouvoir modeler la tête de Gleeson Wilson [...].
 

L’exécuteur ordinaire du comté étant malade, on a été obligé de faire venir un autre exécuteur mis à la retraite pour cause de vieillesse et d’infirmité […]. Il a oublié de couvrir avec un bonnet les yeux et la figure du patient, en sorte que la foule a pu voir dans toute leur horreur les convulsions de ce misérable. »

 

Le musée de Madame Tussaud n'aura de cesse de se développer tout au long du XIXe siècle et deviendra une des principales attractions de la capitale britannique. En 1876, dans les colonnes du Figaro, un visiteur français fera toutefois la fine bouche, devant la ressemblance jugée hasardeuse entre certaines figures et leurs homologues de chair et de sang :

« En arrivant à Londres, comme il est trop tard pour aller au théâtre, on va où vont tous les étrangers fraîchement débarqués : au musée de Mme Tussaud et fils. C'est, s'il faut en croire, la légende, la curiosité des curiosités, celle qu'il faut visiter avant toutes les autres, au débotté, sans perdre une minute […].
 

Comment pourrais-je m'intéresser à des bonshommes en cire qui, selon le catalogue, représentent le roi Edouard VI, Marie Stuart, Richard III et Guillaume le Conquérant, alors que Louis XVI me rappelle — traits pour traits — le restaurateur Brébant ! ... Et si les costumes du moins méritaient une mention ! Mais non ! La plupart sont d'un mauvais goût inimaginable. »

Le musée déménagera en 1884 sur Marylebone Road, où il se trouve toujours. D'autres Madame Tussauds ont depuis ouvert à Las Vegas, Berlin, Tokyo ou Bangkok.

En France, diverses tentatives pour occuper la place laissée vacante par Curtius se font jour au fil du XIXe siècle. Mais alors que le prestigieux cabinet du boulevard du Temple s'adressait à une clientèle choisie, un lieu comme le musée Hartkoff, ouvert en 1865 passage de l'Opéra à Paris, se distingue plutôt, pour certains observateurs, par son « mauvais goût ».
 

Parlant de ce musée « géologique, ethnologique et anatomique », un chroniqueur du Petit Marseillais estime en 1868 qu'il ne s'agit que du « pâle et dernier reflet du célèbre établissement qui florissait au boulevard du Temple il y a près d’un siècle » :

« Entre autres curiosités, on y trouvait une horrible tête, qui avait, dit-on, servi de modèle à Victor Hugo pour la création de son Quasimodo ; une danseuse mexicaine, Julie Pastrana, au visage velu et au corps couvert de poils, mais admirablement proportionné. »

En 1882, l'ouverture d'un nouveau musée de cire boulevard Montmartre va changer la donne. Sa création est l'initiative du directeur du Gaulois, Arthur Meyer. Ce dernier s'adjoint les services d'un dessinateur et sculpteur dont le nom sera appelé à rester dans l'Histoire : Alfred Grévin. Caricaturiste prolifique, on trouve alors ses travaux dans Le Gaulois ou dans Le Journal amusant :

Avec son « musée Grévin », Arthur Meyer entend égaler celui de Madame Tussaud. Le Monde illustré lui consacre un article en images en mars 1882, alors que l'établissement n'est pas encore ouvert au public :

« Un musée artistique, dont la création appartient à M. Arthur Meyer, ancien directeur du Gaulois, sera ouvert en plein boulevard Montmartre […]. Il ne sera plus ici question de ces groupes de cire, raides, guindés et presque effrayants dans leurs attitudes cadavériques. Les yeux seront réjouis et distraits par une reproduction grave ou railleuse, mais toujours fidèle, de la vie contemporaine [...].
 

Ce séduisant musée sera, en quelque sorte, un journal plastique, racontant les faits récents, les actualités passionnantes, et reproduisant aux yeux des spectateurs les drames ou les comédies qui se jouent chaque jour sur la vaste scène parisienne et sur la scène plus vaste encore du monde entier.
 

On peut aisément comprendre après cela quel sera l'attrait du musée Grévin, qui n'aura pas de rival et ne sera jamais égalé. »

 

Quant au journal d'Arthur Meyer, il ne manque bien sûr pas de faire la promotion du musée au moment de l'ouverture, en juin 1882. L'article évoque notamment le sous-sol, consacré aux scènes les plus macabres :

« Toute la biographie d'un criminel se déroule devant nous avec une réalité effrayante. Nous assistons à l'assassinat, à la comparution devant le juge d'instruction, à la confrontation à la Morgue, à la toilette du condamné et, enfin, à son exécution.
 

Ces diverses scènes sont tellement saisissantes que l'on ne peut s'empêcher d'en ressentir de l'émotion, aussi nous empressons-nous de quitter ce lugubre spectacle et de remonter à l'étage supérieur. »

Le musée Grévin rencontre un succès immédiat. À une époque où il n'y a pas de télévision et où la photographie ne s'étale pas encore dans les journaux, le public se rue sur cette occasion de rencontrer les reproductions fidèles, en trois dimensions, de personnalités de l'époque. Parmi elles, Zola, Gounod, Dumas, Sarah Bernhardt...
 

Les tableaux historiques frappent eux aussi l'imagination des visiteurs : c'est le cas de « La mort de Marat », qui représente le révolutionnaire assassiné dans sa baignoire. Comme le relève le muséologue Yves Bergeron, la visite de ces salles permet au spectateur de ressentir « l'émotion d'un retour dans l'histoire ». Comme le cinéma quelques années plus tard.
 

Le musée propose aussi des spectacles dans le théâtre de Grévin et dans le Cabinet Fantastique (le futur cinéaste Méliès y donnera des spectacles de magie), tandis que la partie nommée Palais des Mirages présente une attraction fondée sur l'illusion optique. C'est aussi dans le musée Grévin qu'a lieu en 1892 la première projection en public d'un dessin animé, Pauvre Pierrot.
 

En 1932, le journal L'Image s'y rendra pour fêter les cinquante ans du musée. Les nombreuses photographies donnent une idée de l'aspect des salles à l'époque :

Le musée Grévin est toujours situé boulevard Montmartre et renouvelle régulièrement ses mannequins de cire.
 


 

Pour en savoir plus :
 

Jean-Pierre Fontaine, Alfred Grévin, de Tonnerre à Montmartre, Éditions de Bourgogne, 2007
 

Gabrielle Wittkop-Ménardeau, Madame Tussaud, Biographie, Éditions France-Empire, 1976