Écho de presse

La conquête de l’Everest en 1953

le 17/02/2023 par Pierre Ancery
le 18/02/2021 par Pierre Ancery - modifié le 17/02/2023

Le 29 mai 1953, le Népalais Tensing Norgay et le Néo-Zélandais Edmund Hillary réussissent l’un des exploits les plus extraordinaires de l’histoire de l’alpinisme : la première ascension du Toit du monde. Toute la presse commente l’événement.

Ce 3 juin 1953, les journaux du monde entier ont prévu de titrer sur un événement planifié de longue date : le couronnement de la nouvelle reine d’Angleterre, Elisabeth II, célébré la veille à Londres. Mais le même jour, une autre nouvelle, dont le Times a eu l’exclusivité, va retenir toute l’attention des médias : l’Everest, la plus haute montagne du monde (8 848 mètres), a été vaincu pour la première fois.

Cinq jours plus tôt, deux hommes ont en effet atteint le sommet himalayen : le sherpa népalais Tensing Norgay et le Néo-Zélandais Edmund Hillary, tous deux membres de la neuvième expédition britannique sur le « Toit du monde », dirigée par le colonel John Hunt. Le résultat d’une longue préparation pour cette ascension dont la presse suivait la progression depuis plusieurs semaines. 350 porteurs, 20 sherpas et 10 alpinistes chevronnés sont partis à l'assaut de la montagne.

Le 16 mai, Paris-Presse, relayant les dernières nouvelles de l’expédition, insistait sur l’extraordinaire difficulté de l’entreprise, le manque d’oxygène, à plus de 8 000 mètres d’altitude, transformant chaque geste en effort surhumain.

« Dans cette course aux "8 000" les alpinistes se trouvent dans des conditions voisines de celles que connaîtraient des astronautes débarquant sur Vénus. Effets de la faible pression atmosphérique, adaptation douloureuse de l’organisme [...].

L’air se dilate, se refroidit, s’allège, et perd sa teneur en oxygène [...]. Le formidable travail interne de l’organisme est compliqué par la nécessité de rétablir un équilibre rompu provisoirement. Pour les "Everesters", il est aggravé par les efforts produits, la charge à porter, la lutte contre le froid. »

Le 29 mai, une dépêche en provenance de New Delhi, ici reprise dans La Bourgogne républicaine, semblait indiquer l’échec de l’expédition :

En réalité, seule la première équipe sur place, constituée du duo Bourdillon/Evans, a échoué. Le 29, Hillary et Tensing, tous deux alpinistes de très haut niveau (le sherpa en est à sa septième expédition sur l’Everest), tentent leur chance. Ils quittent le camp VI, à 7 000 mètres d’altitude sur le versant népalais, autour de 6h30 du matin. À 9h, ils atteignent le « sommet Sud », situé 100 mètres en-dessous du sommet principal. À 11h30, profitant de bonnes conditions météorologiques, ils foulent ce dernier.

Le 3 juin, comme les autres journaux, Paris-Presse annonce la nouvelle, citant le télégramme adressé par la nouvelle Reine d’Angleterre aux alpinistes :

« Adressé au colonel Hunt et à tous les membres de l’expédition britannique : mes félicitations les plus chaleureuses pour l’exploit quils ont accompli en atteignant le sommet de l’Everest. ELIZABETH II. »

Tels sont les termes du télégramme qu'a adressé ce matin la jeune reine Elizabeth II aux grimpeurs britanniques qui viennent de lui offrir le plus beau cadeau du couronnement : la conquête des 8 888 mètres de la plus haute montagne du monde [...]. Winston Churchill a également envoyé ses félicitations. »

Une victoire collective « britannique » donc, même si les deux alpinistes ne sont pas originaires de Grande-Bretagne (il est vrai qu’Elizabeth II est souveraine de Nouvelle-Zélande). Les journaux rappellent au passage que le Népal n’autorisant qu’une ou deux expéditions sur l’Everest par an, les Britanniques étaient soumis à une certaine pression : les Français avaient « réservé » l’ascension de 1954 et les Suisses celle de 1955. En cas d’échec, les Anglais n’auraient pu retenter leur chance qu’en 1956.

Le célèbre Maurice Herzog (vainqueur de l’Annapurna en 1950) est interrogé au sujet de l’événement par La Croix : il évoque à demi-mot la tragédie de 1924, qui avait vu George Mallory, le plus grand alpiniste britannique de sa génération, mourir lors d’une tentative d’ascension.

« Les Anglais méritaient cette victoire. Les premiers, ils avaient découvert la montagne, l’avaient explorée et attaquée. Leurs efforts successifs et leurs sacrifices sont présents à la mémoire de tous...

Dans l’histoire de la conquête de la montagne et de la terre, une page est tournée. »

La nouvelle va alimenter les rubriques des journaux pendant encore de longues semaines, ces derniers relayant la moindre controverse relative à l’ascension de Hillary et Tensing. Le 8 juin, La Gazette provençale apprend ainsi à ses lecteurs que le roi du Népal «n’est pas content » :

« Celui-ci n'a pas caché son ulcération d’avoir appris la nouvelle de la nouvelle de la victoire sur l’Everest par la radio américaine, reprenant une information divulguée à Londres, alors que l'ambassadeur britannique à Khatmandu, capitale du Népal, la connaissait depuis au moins quarante huit heures. »

Mais une autre polémique va très vite agiter les journaux : qui, d’Edmund Hillary ou de Tensing Norgay, a posé en premier le pied sur le sommet ? Une question qui intéresse d’autant plus les commentateurs que le chef de l’expédition John Hunt a, semble-t-il, tenté de minimiser le rôle joué par le Népalais, le qualifiant publiquement de simple « porteur ». Ce dont s’agace l’intéressé, comme le relate Paris-Presse le 23 juin :

« Tensing a dit : - A partir du glacier de Khumbu, j’ai pratiquement dirigé les opérations, construisant des ponts, choisissant l'emplacement des camps, creusant des marches et franchissant les cascades... Dans ma vie, je suis monté sept fois à l'Everest. Pourtant le colonel Hunt trouve que mon expérience est limitée !

Et de préciser, si l'on peut dire :

- Nous sommes arrivés là-haut presque ensemble. Au cours de l'ascension, j’avais été parfois en tête, parfois derrière Hillary.

Ce qui ne nous dit pas qui mit en premier le pied sur le sommet. »

Le 30 juin, La Gazette provençale livre un long portrait d’Hillary, 33 ans, apiculteur de profession. « Personne ne le croyait lorsqu’il affirmait qu’il grimperait un jour au sommet de l’Everest », raconte le journal.

« Les amis de Hillary se souviennent de lui comme d’un garçon très intelligent, très grand pour son âge, que l’on aimait bien et surtout, nanti d une inébranlable bonne humeur [...].

Ce n'est que lorsqu'il eut l’occasion de passer des vacances à Mount Ruapehu, un volcan de trois mille mètres situé au centre de l’île du Nord, qu'il sentit naître en lui, sa vocation d’alpiniste. s ce moment, toute sa vie fut dédiée à un seul objectif : partout où il se trouvait des montagnes en Nouvelle-Zélande, on pouvait voir Hillary qui s’escrimait à les escalader. »

Tensing et Hillary voyageront en Europe à la suite de leur exploit. De passage à Paris en décembre 1953, ils sont accueillis par Maurice Herzog, mais aussi par une nuée de journalistes et de photographes à l'hôtel Grillon. L'écrivain Georges Blond raconte dans Carrefour :

« Pour moi, l’idée ne me serait même pas venue de leur adresser la parole, tant il me semblait que quelques mots ne pouvaient rien ajouter à ce qui se lisait sur leurs intéressants visages. Quel régal pour un amateur de physiognomonie !

L’énergie en deux personnes était là devant nous, l’énergie supérieure, véritable et rare, séduisante, qui napparaît jamais sans la réunion préalable dautres qualités de premier choix comme l’intelligence, la distinction et l’humour. »

Par la suite, Edmund Hillary gravira encore dix sommets dans l’Himalaya. Il mènera en 1960 une expédition (infructueuse) pour tenter d’y découvrir le Yéti, et fondera la même année le Himalayan Trust, une organisation humanitaire destinée à aider le peuple sherpa. Natif d’Auckland, il mourra dans cette même ville en 2008.

Tensing Norgay jouira toute sa vie d’une immense notoriété en Inde et au Népal. Il est mort en 1986. Une chaîne de montagnes sur Pluton porte aujourd'hui son nom. 

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Pour en savoir plus :

Edmund Hillary, Au sommet de l’Everest, Hoëbeke, 2016

John Hunt, Victoire sur l’Everest, Arthaud, 2014

Gilles Modica, Everest ; les conquérants, 1852-1953, Editions Michel Guérin, 2013