Interview

La boxe, une « version euphémisée de la guerre » ?

Entraînement de boxe à la salle Cuny, Agence Rol, 1911 - source : Gallica-BnF

Aussi violente que spectaculaire, la boxe pratiquée dans les cités du monde gréco-romain en dit long sur les sociétés antiques, leurs valeurs, leur rapport à la guerre. Dans son ouvrage À poings fermés, l'historien Jean-Manuel Roubineau livre une histoire totale de ce sport perçu dans l'Antiquité comme le plus dangereux de tous.

RetroNews : Vous donnez, en préambule de votre ouvrage, de multiples raisons d’aimer la boxe – existentielles, sociales, esthétiques, dramaturgiques… Quelles sont les vôtres ? 

Jean-Manuel Roubineau : Ce sont les raisons existentielles qui priment : la boxe fonctionne, à mes yeux, comme une métaphore de l’existence. Alors qu’elle est souvent critiquée par ses détracteurs en raison de la sauvagerie désordonnée ou de la bestialité qu’elle permettrait, la boxe est une activité spécifiquement humaine. Parmi les grands singes, les hommes sont les seuls à frapper le poing fermé. En cela, réfléchir à la boxe, c’est réfléchir à ce qu’être humain veut dire, pour reprendre la formule de Joyce Carol Oates. 

Je suis également sensible à la dimension tragique des combats : chaque affrontement voit s’entrechoquer deux forces, jusqu'à ce que l’une des deux fléchisse… 

De manière plus générale, la boxe est avant tout une éducation à la défaite. Et l’expérience de la défaite est particulièrement intense dans le cas de la boxe antique, en raison de la manière dont le vainqueur y est désigné : les combats ne s’interrompent que lorsque l’un des adversaires lève le doigt pour signifier à l’arbitre qu’il abandonne. En plus d’être dominé et vaincu, le perdant doit donc reconnaître publiquement son infériorité, ce qui constitue une humiliation, une encoche à la dignité. Les combats s’achèvent donc tous sur une fin nette, qui ne prête pas à contestation, à la différence de la boxe moderne, où les combats qui ne finissent pas sur un K.O. sont susceptibles de faire l’objet d’une réécriture protégeant l’égo du vaincu.

Dans l’Antiquité, le boxeur vaincu doit, par la suite, récupérer de l’échec sans possibilité de le contester, reconstituer le capital de confiance nécessaire à la poursuite de l'activité. Cela donne à la boxe un relief que la plupart des autres sports n’ont pas.

Quel type de boxe se pratique dans les cités du monde gréco-romain ? 

C’est une boxe à la fois très proche et très éloignée de la nôtre, une boxe de poings, dans laquelle on ne frappe qu'avec les membres supérieurs, poings fermés mais aussi mains ouvertes : avec le plat de la main, la pointe des doigts, la tranche de la main. Autrement dit, on peut frapper sous tous les angles possibles, sur toutes les surfaces.

C’est donc une forme de boxe anglaise, mais avec un répertoire gestuel beaucoup plus étendu. Les coups peuvent être bien plus contondants, mais aussi beaucoup plus risqués pour celui qui les porte : frapper avec la pointe des doigts comporte évidemment un grand risque de fracture… Les mains sont mises à forte partie.

Une équipe d’anthropologues de l’université Gabriele d’Annunzio, en Italie, a pu étudier 143 squelettes retrouvés à Herculanum, la cité voisine de Pompéi qui a été ensevelie au même moment, dont un squelette de boxeur. Le profil ostéologique de ce boxeur est très instructif : il a le nez brisé, une côte thoracique brisée, et des cals osseux à l’avant des poings liés au frottement des gants combiné à la répétiti...

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