Écho de presse

Les mille et une vies du Mont-Saint-Michel

le 05/06/2022 par Pierre Ancery
le 10/08/2018 par Pierre Ancery - modifié le 05/06/2022
Le Mont-Saint-Michel, tableau, Edward William Cooke, 1831 - source : WikiCommons-Victoria and Albert Museum

Lieu de culte païen, centre de pèlerinage catholique, ex-« Bastille des mers », haut lieu de la gastronomie et insubmersible aimant à touristes, le Mont-Saint-Michel est célébré depuis deux siècles dans la presse.

À quand faut-il faire remonter l'histoire du Mont-Saint-Michel, mythique îlot rocheux qui fait depuis toujours la fierté de la Normandie ? En 1811, dans La Gazette nationale, l'historien M. de Noual de la Houssaie raconte l'origine celtique du Mont, qui fut bien avant l'arrivée des chrétiens un lieu de culte païen :

« Un collège de druidesses y fut établi. La plus ancienne rendait des oracles, comme la Pythonisse d'Endor, la Pythie de Delphes et la Sybille de Cumes.

 

Mais ces prêtresses de l’Armorique , si on ne les a point calomniées, s’écartèrent dans leurs cérémonies de la simplicité du culte druidique ; et quoique consacrées au dieu de la lumière Bélène [Belenos], on les vit associer à son culte celui de la mère des amours. »

Mais c'est bien sûr l'abbaye fondée en 709 qui rendit le lieu célèbre. Le Mont-Saint-Michel devint très tôt un important centre de pèlerinage catholique : pendant douze siècles, jusqu'à la Révolution française, on y venait depuis les quatre coins de l'Europe.

 

Fait moins connu, le Mont accueillit pendant longtemps un centre de détention, ce qui lui valut le surnom de « Bastille des mers ». Établie par un décret impérial de Napoléon en 1811, la prison abrita ensuite de nombreux opposants politiques, en particulier sous la monarchie de Juillet. Parmi les plus célèbres, Auguste Blanqui (qui y resta de 1840 à 1844) et Armand Barbès (de 1839 à 1843).

 

La prison avait mauvaise réputation, les conditions de détention étant jugées inhumaines par certains observateurs. En 1844, on en débat à l'Assemblée : le philosophe et député Alexis de Tocqueville, célèbre auteur de De la démocratie en Amérique, trouve ces plaintes exagérées. Il est cité par La Quotidienne :

« Quant à moi, qui suis allé au mont Saint-Michel, je dois dire que je ne crois pas que les plaintes qui ont été portées sur le régime habituel du mont Saint-Michel soient fondées [...].

 

Chaque détenu au Mont-Saint-Michel est enfermé dans une vaste cellule, bien aérée, bien chauffée ; il reçoit une nourriture suffisante, je dirai presque abondante ; il n’est pas forcé de travailler. Chaque jour, il peut sortir deux heures avec celui de ses co-détenus qu'il a choisis ; il se promène avec lui pendant deux heures, et ensuite il rentre... »

La « Bastille des mers » fermera en 1863. À la même époque, le tourisme se développe dans la région et le Mont-Saint-Michel devient peu à peu un pôle d'attraction pour des milliers de visiteurs. On procède donc à des aménagements. À la fin des années 1870, l’État fait construire une digue-route insubmersible de 1930 mètres de longueur entre le Mont et la terre ferme.

« Un décret a autorisé en effet la construction d'une digue insubmersible destinée à relier le mont Saint-Michel à la côte. La digue du Couësnon, sans ôter au monument son aspect pittoresque, permettra au chemin de fer de Vitré d'atteindre le mont et de déposer à sa base les touristes et les pèlerins qui viennent le visiter en foule chaque année. »

Un chemin de fer sera même construit au début du XXe siècle.

Carte postale du Mont-Saint-Michel datant du début du XXe siècle - source : WikiCommons

Touristes et pèlerins peuvent désormais se rendre sur place en « break à impériale », à pied ou en tramway. C'est le début d'un afflux de visiteurs sans précédent. En 1902, dans La Presse, un rédacteur au pseudonyme de « Martin Gale » ironise sur ce nouveau tourisme de masse :

« Le Mont-Saint-Michel ! C'est maintenant le cratère par où s'éjacule le besoin de voyages, et d'infini, et de découvertes d'un tas de gens, fort tranquilles d'ordinaire, mais qui auront éprouvé, au moins une fois dans leur vie, le besoin de s'évader d'eux-mêmes.

 

Le Mont-Saint-Michel : Bayreuth, Écosse et Scandinavie du pauvre ! […] Des légendes le hantent, des fantômes le peuplent. Il a remplacé, pour le bourgeois à la Courteline, le Fontainebleau du bourgeois à la Paul de Kock. »

Le propos n'est pas nouveau. Lieu à l'origine dédié au recueillement et à la spiritualité, l'îlot, pour de nombreux observateurs, n'est plus ce qu'il était. En 1836, Victor Hugo avait déjà fait une « visite au Mont-Saint-Michel », texte dans lequel il livrait un portrait contrasté du lieu. Les Annales politiques et littéraires reproduisent ses commentaires en 1912 :

« À l'extérieur, le Mont-Saint-Michel apparaît, de huit lieues en terre et de quinze en mer, comme une chose sublime, une pyramide merveilleuse assise sur un rocher énorme façonné et sculpté par le moyen âge, et ce bloc monstrueux a pour base, tantôt un désert de sable comme Chéops, tantôt la mer comme Ténériffe.

 

— À l'intérieur, le Mont-Saint-Michel est misérable [...].

 

C'est un village immonde où l'on ne rencontre que des paysans sournois, des soldats ennuyés et un aumônier tel quel [...]. La nef romane changée en réfectoire infect ; le charmant cloître à ogives si délicates transformé en promenoir sordide ; partout, l'art du quinzième siècle insulté par l'eustache sauvage du voleur, partout la double dégradation de l'homme et du monument combinée ensemble et se multipliant l'une par l'autre. Voilà le Mont-Saint-Michel maintenant.

 

Pour couronner le tout, au faîte de la pyramide, à la place où resplendissait la statue colossale dorée de l'archange, on voit se tourmenter quatre bâtons noirs. C'est le télégraphe. Là où s'était posée une pensée du ciel, le misérable tortillement des affaires de ce monde. C'est triste. »

De plus en plus couru, le Mont attire les célébrités. En 1920, un premier film, Le Lys du Mont-Saint-Michel, y est tourné, avec en vedette Agnès Souret. Cette jeune Bayonnaise vient alors tout juste d'être élue première Miss France de l'histoire. La presse ne manque pas de couvrir l'événement :

Le Mont est aussi une étape gastronomique de premier ordre. En particulier grâce à la Mère Poulard (1851-1931) : cette Bourguignonne y tient une auberge où elle sert une omelette renommée dans le monde entier. Pendant des années, toute la presse s'interroge sur le secret de sa fabrication. Le Nouvelliste de Bretagne écrit en 1923 :

« La bonne Mère Poulard a-t-elle vraiment un secret ? Met-elle quelque chose dans son omelette, de la crème, du lait ? A-t-elle le moyen de mieux mêler le beurre aux œufs ? [...] Toujours est-il que la mère Poulard est connue dans le monde entier à cause de son omelette. Et je trouve cela admirable.

 

Il y a des ambitieux qui veulent se faire un nom, qui s’agitent, qui pour arriver ont recours à tous les moyens propres ou pas propres, qui ne se soucient pas du mal qu'ils peuvent faire autour d'eux et qui ne parviennent même pas à la petite notoriété que peut avoir un conseiller municipal, un secrétaire de syndicat ou un tambour de ville...

 

La mère Poulard est restée, elle, au coin de son feu. Elle a bien reçu ses hôtes, elle les a bien traités. Elle a passé sa vie à battre des œufs et à dorer des omelettes [...]. Cette digne et brave femme est-elle décorée ? »

À la veille de la Seconde Guerre mondiale, la prestigieuse revue Regards consacrait encore un grand reportage photo au Mont-Saint-Michel, « forteresse et monastère, riche et décharné, fantastique et précis » :

Le site est aujourd'hui le plus fréquenté de Normandie et l'un des dix plus fréquentés de France (premier, après ceux d’Île-de-France) : entre deux et deux millions et demi de visiteurs chaque année. Les Montois, eux, n'étaient que 33 en 2015.

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