Écho de presse

Man Ray, « curieuse figure » du Paris des années 1920

le 25/07/2021 par Marina Bellot
le 24/08/2018 par Marina Bellot - modifié le 25/07/2021
Portrait de Man Ray à Paris par Carl Van Vechte, 1934 - source : Flickr CC
Portrait de Man Ray à Paris par Carl Van Vechte, 1934 - source : Flickr CC

Précurseur de la photographie moderne dont les œuvres continuent de marquer notre imaginaire, Man Ray s'est imposé pendant les années folles comme l'un des artistes les plus talentueux de l'époque. 

Exposition à la BnF

L'Invention du surréalisme : des Champs Magnétiques à Nadja.

2020 marque le centenaire de la publication du recueill Les Champs magnétiques – « première œuvre purement surréaliste », dira plus tard André Breton. La BnF et la Bibliothèque littéraire Jacques-Doucet associent la richesse de leurs collections pour présenter la première grande exposition consacrée au surréalisme littéraire.

 

Découvrir l'exposition

Il est né à Philadelphie mais a vécu à Paris à partir de 1921, dans le bouillonnement du Montparnasse des Années folles. 

Man Ray (1890-1976), de son vrai nom Emmanuel Rudnitsky, fréquente en 1916 la très libertaire Modern School de Brooklyn, où il s'essaie à la peinture, au collage et à la photographie. Ses premières œuvres, des peintures et collages à l’humour iconoclaste, l'inscrivent dans la mouvance dada.

C’est en 1920, à New York, qu’il rencontre les artistes français Marcel Duchamp et Francis Picabia, qui l’encouragent à découvrir Paris. Man Ray accepte et plonge immédiatement dans le bain de la vie artistique parisienne en compagnie des peintres, photographes, poètes et intellectuels de l’époque.

Dès 1921, la revue Comœdia le classe parmi les artistes « dadaïstes les plus en vue ». 

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L’époque est alors à la recherche de nouveaux modes d’expression, dans un monde bouleversé par l’horreur de la guerre et en proie à un intense besoin de (re)vivre.

La peinture, avec Dali et Magritte notamment, rompt avec les anciens modèles, refusant toute tradition et rejetant les codes et valeurs d’antan. 

Rompre avec le passé et transgresser les codes, c'est ce que s’emploie à faire Man Ray dans un autre domaine, celui de la photographie, vers lequel il se tourne en professionnel après l’échec d’une exposition à la librairie Six en décembre 1921.

Grâce à Francis Picabia, il rencontre Jean Cocteau, qui accepte de se faire prendre en photo. Dès lors, il multipliera les portraits des plus grands artistes de son époque, de James Joyce à Gertrude Stein, en passant par ses amis surréalistes Marcel Duchamp et Francis Picabia, sans oublier Kiki de Montparnasse, sa maîtresse, dont il réalisera l’un des plus célèbres clichés : Le Violon d’Ingres

Le violon d'Ingres, photographie de Kiki de Montparnasse par Man Ray en 1924 - source : Flick CC
Le violon d'Ingres, photographie de Kiki de Montparnasse par Man Ray en 1924 - source : Flick CC
Portrait du peintre Salvador Dali par Man Ray en 1934 - source : WikiCommons
Portrait du peintre Salvador Dali par Man Ray en 1934 - source : WikiCommons

« Je photographie comme je peins » clâme Man Ray, qui livre dans Paris-Soir en 1926 sa vision de la photographie, qu’il contribuera toute sa vie durant à élever au rang d'art. 

« Pour parler peinture, n'est-il pas étonnant que des peintres s'obstinent encore, un siècle après l'invention de la photographie à faire, à force de travail et de persévérance, ce qu'un kodak permet d'obtenir vite et mieux.

L'œuvre de Bonnat fut utile tant que la photographie fut insuffisante. C'est folie de faire à l'huile et sur toile ces apparences qu'on obtient mieux sur papier sensible. 

J'entends que la photographie n'est pas artistique ! Grief pour les uns, éloge pour les autres. [...]

Le photographe, au reste, n'est pas seulement borné au rôle de copiste. C'est un merveilleux explorateur de ces aspects que notre rétine n'enregistrera jamais [...]

J'ai tenté de saisir ces visions que le crépuscule, ou la trop vive lumière, ou leur fugacité, ou la lenteur de notre appareil oculaire dérobent à nos sens. J'ai été toujours surpris, souvent charmé, parfois littéralement ravi. 

La photographie et son frère le cinéma rejoignent par là la peinture telle qu'elle s'impose à tout esprit conscient des nécessités morales du monde moderne. »

Dans la même édition du journal, le poète surréaliste Robert Desnos – dont Man Ray adaptera le poème L’Étoile de mer en court-métrage deux ans plus tard – le qualifie d’​« une des plus curieuses figures de Paris » :

« Photographe, peintre, auteur de films modernes, Man Ray est l'une des plus curieuses figures de Paris.

Bien des jolies femmes ont tremblé avant de confier le soin de reproduire leur visage à celui qui chérit également ses peintures et ses plaques photographiques. [...]

Américain laconique, dont le désir d'invention est immense et qui, après s'être révélé peintre original, a bouleversé les opinions admises sur la découverte, aujourd'hui centenaire, de Niepce [l'inventeur de la photographie]. »

À la fin des années 1920, Man Ray s’est incontestablement imposé comme un artiste surréaliste majeur : sa renommée dépasse désormais largement les frontières de Paris.

Le poète Fernand Pouey, qui lui rend visite en 1929 dans son atelier parisien de la rue Campagne-Première pour le journal L’Européen, ne cache pas son admiration pour cet iconoclaste volontiers taciturne :

« C'est avec beaucoup plus de simplicité que Man Ray vous accueille dans son studio de la rue Campagne-Première.

Que son nom ait quitté Montparnasse pour un tour du monde ne le touche pas outre mesure ; car la renommée n'a jamais bouleversé un homme d'expériences.

Il y a autour de lui son petit monde de bois et de fer, d'échiquiers, de cubes, de cônes, de pyramides et de crosses. Sur les murs, quelques tableaux et des photographies abstraites se proposent à votre étonnement ; à deux extrémités opposées de la pièce, un admirable profil perdu de femme chante un conte bleu et un dur escalier conduit à la voie des songes. [...]

“Bonjour !” a murmuré Man Ray. Puis il s'est tu. Il a repris son sourire en coin et croisé ses bras sur sa poitrine. On nous a averti : “Vous savez qu'il est taciturne.” Appuyé à une table aux angles nets, il paraît épier des rythmes cinématiques et assister à la représentation de la vie courante, sans s'y mêler.

Vous auriez aussi le droit de penser que, s'exprimant difficilement en français, il préfère rester en dehors de la conversation, ou encore – tant pis ! – que vous l'importunez. Mais son regard, sous les paupières lourdes, s'est dirigé vers vous. Alors, d'instinct, vous cherchez la pose photogénique. »

Pendant vingt ans, Man Ray ne cessera d'explorer les multiples possibilités offertes par la photographie, et ce faisant, révolutionnera cet art alors nouveau. Il quittera Paris après l'armistice de juin 1940, et n'y reviendra qu'onze ans plus tard.

À sa mort, en 1976, il sera inhumé au cimetière du Montparnasse. Sa tombe porte l'épitaphe :

« Unconcerned, but not indifferent » (« Détaché, mais pas indifférent »).