Écho de presse

Octave Mirbeau, écrivain fin-de-siècle et journaliste insoumis

le 04/11/2018 par Pierre Ancery
le 07/09/2018 par Pierre Ancery - modifié le 04/11/2018
Octave Mirbeau chez lui, photographie de Dornac - source : Gallica-BnF
Octave Mirbeau chez lui, photographie de Dornac - source : Gallica-BnF

Pamphlétaire échappant à toute étiquette, l'écrivain Octave Mirbeau fut un éditorialiste virulent et redouté. Au fil des nombreux articles qu'il publia entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle, il aborda presque tous les sujets.

Courageux, provocateur, drôle, scandaleux, cruel, intransigeant, réactionnaire, avant-gardiste... Les qualificatifs, parfois contradictoires, ne manquent pas pour décrire l'écrivain et journaliste Octave Mirbeau (1848-1917). Aujourd'hui un peu oublié, il fut un acteur essentiel de la vie médiatique de la Belle Époque.

 

Prototype de l'intellectuel engagé, il consacra sa vie à défendre les causes qu'il estimait justes, tant dans le domaine politique que littéraire et artistique. À côté de son œuvre de romancier (Journal d'une femme de chambre, Les 21 jours d'un neurasthénique...) et de dramaturge (Les Affaires sont les affaires), on trouve des centaines d'articles parus dans toutes les feuilles de l'époque, de la droite de l'échiquier politique – Le Gaulois, Le Figaro – à son aile gauche – L'Aurore ou même L'Humanité.

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« C'est au vitriol qu'il débarbouille les salauds », disait de lui l'écrivain Elémir Bourges. Nombre des textes furieux de Mirbeau n'ont pas pris une ride. En 1882, il occasionne son premier scandale avec un article intitulé « Le comédien », paru dans Le Figaro. C'est une charge sans ambiguïté contre le culte des vedettes du théâtre : « Plus l'art s'abaisse et descend, plus le comédien monte », y lit-on.

« Aujourd'hui où l'on ne s'intéresse plus à rien, on s'intéresse au comédien. Il a le don de passionner les curiosités en un temps où l'on ne se passionne plus pourtant ni pour un homme, ni pour une idée. [...]

 

Alors qu'un artiste ou qu'un écrivain met vingt ans de travail, de misère et de génie à sortir de la foule, lui, en un seul soir de grimaces, a conquis la terre. »

Cette saillie lui vaut d'être aussitôt remercié du Figaro. Ce qui ne l'empêchera pas de continuer à dévoiler sans relâche les mensonges et les lâchetés de la société de son époque. Dans un autre brûlot paru en octobre 1884 dans Le Gaulois, « Les fêtes de charité », il dénonce avec quelque cent ans d'avance le business de la philanthropie :

« De qui et de quoi se compose ce que l'on appelle une fête de charité ? De journalistes et de petites actrices, de chansons gaillardes et de costumes qui font rêver, de flirts et de soupers [...].

 

Et le soir, pendant que l'on compte la recette de gros sous, de louis d'or et de billets de banque – à peine de quoi payer les frais des tréteaux, les notes des restaurants, les plaisirs des commissaires, et les bouquets des actrices – les victimes au soulagement de qui ces fêtes sont données pourraient entendre les échos des gais soupers que la charité offre aux journalistes et aux petites femmes, le rire des goguettes allumées, le bruit des bouchons qui sautent, des baisers qui claquent.

 

Car la charité [...] s'est faite, non pas la guérisseuse, mais l'exploiteuse des misères humaines. Elle ne s'inquiète pas des malheurs qu'elle doit secourir, elle ne pense qu'aux réclames qui rapportent, aux vanités qu'il faut qu'elle flatte, aux plaisirs qu'il faut qu'elle se donne. »

En novembre 1888, il écrit « La grève des électeurs », féroce plaidoyer pour l'abstentionnisme paru dans Le Figaro (qui l'a manifestement embauché à nouveau) :

« Une chose m'étonne prodigieusement – j'oserai dire qu'elle me stupéfie – c'est qu'à l'heure scientifique où j'écris, après les innombrables expériences, après les scandales journaliers, il puisse exister encore, dans notre chère France (comme ils disent à la Commission du budget), un électeur, un seul électeur, cet animal irrationnel, inorganique, hallucinant, qui consente à se déranger de ses affaires, de ses rêves, ou de ses plaisirs, pour voter en faveur de quelqu'un ou de quelque chose [...].

 

Qu'un député ou un sénateur, ou un président de République, ou n'importe lequel, parmi tous les étranges farceurs qui réclament une fonction élective, quelle qu'elle soit, trouve un électeur, c'est-à-dire l'être irrêvé, le martyr improbable, qui vous nourrit de son pain, vous vêt de sa laine, vous engraisse de sa chair, vous enrichit de son argent, avec la seule perspective de recevoir en échange de ces prodigalités des coups de trique sur la nuque, des coups de pied au derrière, quand ce n'est pas des coups de fusil dans la poitrine ; en vérité, cela dépasse les notions déjà pas mal pessimistes que je m'étais faites jusqu'ici de la sottise humaine [...] ! »

En mars 1891, il instruit dans le même journal le procès des économistes :

« Je ne suis pas un économiste ; je ne sais même pas bien ce que c'est que l'économie politique. Cette science [...] m'a toujours paru assez improbable. On m'assure pourtant qu'elle existe ; on m'affirme même qu'elle est utile. Utile à quoi ? Voilà ce qu'on n'a jamais pu expliquer.

 

Ce qui me rend méfiant, c'est que tous les banquiers sont des économistes très forts. À l'aide de l'économie politique, ils n'ont pas leurs pareils pour crocheter vos caisses et vous faire, galamment, le porte-monnaie. C'est inquiétant. Cartouche reviendrait – et il est revenu, croyez-moi – je l'imagine très bien pratiquant l'économie politique, avec des airs graves, au lieu d'arrêter les gens, pittoresquement, la nuit, au détour des rues désertes. »

Politiquement, Mirbeau se réclame alors de l'anarchisme. Il s'en explique dans une interview parue en février 1894 dans Le Gaulois :

« – Moi, déclare M. Octave Mirbeau, ce qui me séduit dans l'anarchie, c'est, avant tout, le côté intellectuel, le règne de l'individualisme. Opposez aux stupides, aux dangereuses, aux terribles, aux annihilantes doctrines socialistes, la belle, la libre théorie anarchiste, et voyez, jugez vous-même.

 

Oh! le socialisme... cet écrasement imbécile de l'individu, ce rêve de bureaucrate affolé, voulant numéroter, réglementer, niveler l'espèce, empêcher toute espèce d'initiative, toute espèce d'effort particulier, voila le redoutable péril !... Et regardez au contraire : avec l'anarchie, plus d’État, plus de gouvernement malfaisant ! et dès lors, tout d'un coup, quel essor donné à l'Art, quelle liberté offerte à la pensée, quel large champ ouvert à la libre initiative, au génie de chacun ! […]

 

L’État vous paraît donc un bien grand coupable ?

 

L’État... mais c'est le plus grand, presque le seul criminel ! »

Défenseur de toutes les avant-gardes artistiques, de Manet à Van Gogh, il est aussi l'un des rares, en France, à prendre la défense d'Oscar Wilde lors de sa condamnation pour homosexualité en 1895 [voir notre article].

 

Éditorialiste influent, Mirbeau s'engage aussi courageusement aux côtés de Zola dans l'affaire Dreyfus : c'est lui qui paye de sa poche les 7 525 francs d'amende du romancier pour son J'accuse !. En août 1898, il publie dans L'Aurore un réquisitoire intitulé « Trop tard ! » dont la violence n'a d'ailleurs rien à envier au célèbre article de Zola :

 

« Voilà huit mois qu'on prêche l'assassinat, au non de la Patrie, qu'on l'exulte, qu'on le glorifie au nom de Dieu ! Le soldat l'appelle et le moine le bénit. Il a conquis la rue ; il domine les prétoires de justice et les temples de religion, hurlé dans la presse, protégé par toutes les puissances gouvernementales, sociales et divines.

 

Et les bandes sont là, prêtes à se ruer sur quiconque osera encore affirmer un idéal, opposer la vérité au mensonge, le droit au crime, crier la justice ! Ce n'est pas un cauchemar ; c'est bien la réalité [...].

 

Ils sont les maîtres, et ils se croient couverts par la France, car la France, pour eux, c'est cette bande salariée de deux mille coupe-jarrets et camelots qui la terrorisent de leurs hurlements sauvages et de leurs cris de mort... Soldats en casquette des Drumont et des Meyer, porte-litières des Rochefort et des Déroulède, sacristains des Dulac et des Didon, ils ne crient que parce que nous nous taisons, ils ne sont forts que de notre silence. »

Un texte suivi une semaine plus tard d'un autre, « À un prolétaire », dans lequel il s'adresse aux ouvriers en les enjoignant de se solidariser avec Dreyfus :

« L’injustice qui frappe un être vivant – fût-il ton ennemi – te frappe du même coup. Par elle, l’Humanité est lésée en vous deux [...].

 

Il n’est donc pas bon que tu te désintéresses d’un abominable conflit où c’est la Justice, où c’est la Liberté, où c’est la Vie qui sont en jeu et qu’on égorge ignominieusement, dans un autre. Demain, c’est en toi qu’on les égorgera une fois de plus. »

En 1904, Mirbeau est l'un des premiers rédacteurs réguliers de L'Humanité nouvellement fondée par Jean Jaurès. Sa plume toujours aussi tranchante s'y leste parfois de venin, comme dans cet article où il évoque avec misogynie « les femmes qui écrivent » :

« Les femmes – je parle des femmes qui écrivent, non des lettres familières, mais de prétentieux romans, car Dieu merci il en existe encore qui n'en écrivent pas – s'ennuient de leurs devoirs de femmes, et, s'ennuyant, elles ne savent plus quoi faire, dès qu'elles ont passé l'âge de l'amour.

 

Et comme il faut bien qu'elles fassent quelque chose, ne pouvant plus faire des maris ridicules, des amants insupportables, des cocus douloureux, et même des enfants chlorotiques, alors elles font des livres. »

Il soutiendra la première révolution russe de 1905. En 1915, malade et désespéré par la guerre, il publie un article nommé « À nos soldats » :

« Tant que durera la guerre, mes chers amis, je ne veux rien écrire. Le danger qui vous menace, votre courage intelligent et tranquille absorbent ma pensée. Trop malade pour aller vous voir, je m'efforce à vivre en vous et ce n'est pas assez de tout mon être pour vous suivre minute par minute [...].

 

Après la victoire qui sera, que vous nous donnerez, vous reviendrez avec cette habitude de franchise pour laquelle j'ai toujours lutté. Vous ne jouerez pas avec la vie, vous en aurez le goût austère. Ainsi, mes chers amis, à toutes vos gloires s'ajoutera l'intime fierté. Comme nous vous serrerons sur nos cœurs, ce jour-là ! »

Octave Mirbeau meurt le 16 février 1917 à Paris. S'il est moins lu aujourd'hui, son œuvre aura survécu notamment grâce au cinéma, en particulier grâce à Luis Buñuel qui adapta en 1964 son sulfureux Journal d'une femme de chambre.

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