Écho de presse

Laure Albin Guillot, photographe des Années folles

le 14/05/2021 par Zoé Isle de Beauchaine
le 17/02/2021 par Zoé Isle de Beauchaine - modifié le 14/05/2021
Laure Abin Guillot photographiée dans L'Intransigeant, juillet 1933 - source : RetroNews-BnF
Laure Abin Guillot photographiée dans L'Intransigeant, juillet 1933 - source : RetroNews-BnF

Célébrité française de l’entre-deux-guerres, proche de Montherlant, Laure Albin Guillot (1879-1962) a marqué l’histoire de la photographie française. Adepte d’approches expérimentales, elle jouit pourtant d’une immense popularité dans le monde de l’art comme dans la presse.

L’intérêt de Laure Albin Guillot pour la photographie naît des expérimentations qu’elle conduit aux côtés de son mari, chercheur en microscopie. A partir de préparations microscopiques de cellules d’organismes minéraux, végétaux et animaux, elle produit des photographies qu’elle appelle micrographies. En parallèle de ce travail expérimental, elle développe, dans les années 1910-1920, une activité de photographe de mode ainsi que de portraitiste.

Son style fait rapidement sa renommée, attirant le Tout-Paris dans son studio de la rue du Ranelagh. La photographe joue particulièrement sur la lumière, diffuse et enrobante, afin de produire des portraits qu’elle veut psychologiques, mettant en avant l’intériorité du modèle avec subtilité et simplicité. Les écrivains Paul Valéry, André Gide, Georges Bernanos, les acteurs Louis Jouvet ou Suzie Solidor… Tous viennent se faire tirer le portrait chez Laure Albin Guillot. Elle est faite Chevalier de la Légion d’honneur dès 1926.

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Jean Cassou, futur directeur du musée d’Art Moderne, en fait l’éloge dans Marianne :

« Mme Laure Albin-Guillot fait bien de l’honneur aux visages de ses contemporains.

C’est qu’elle en fait aussi à son métier de photographe. Si elle affine ainsi les traits de ses modèles, illumine leurs fronts et leurs regards, insinue tant d’esprit au pli de leurs lèvres et enfin accorde à leurs attitudes un air de noblesse et de pensée, ce sera, finalement, au bénéfice d’un art qui approche ici des subtilités du pastel ou des reliefs et des éclairages de la sculpture. »

A la mort de son époux en 1929, le portrait devient une de ses sources principales de revenus avec la photographie de mode et la photographie publicitaire, dont elle est une pionnière, publiant en 1933 l’ouvrage Photographie publicitaire. Elle fait partie des rares photographes qui réussissent à allier une carrière commerciale et une activité créative soutenue. En 1929, Laure Albin Guillot a cinquante ans et sa carrière de photographe va décoller.

Elle poursuit ses recherches esthétiques, notamment ses micrographies qu’elle expose dès 1928. Cette technique fascine et retient l’attention de ses pairs, Louis Lumière et Jean Painlevé.

En 1931, ses créations sont publiées dans Micrographie Décorative qui est un succès immédiat et international. L’ouvrage permet une meilleure reconnaissance du potentiel créatif de la fusion entre art et sciences, fusion pour laquelle la photographe milite, publiant un plaidoyer à cet effet :

Ces travaux microphotographiques la rapprochent de l’avant-garde d’alors et de l’Ecole de Paris. Elle fait ainsi partie, aux côtés de Man Ray, André Kertész et Germaine Krull du Salon de l’Escalier, première manifestation de la photographie moderne qui entend rompre avec le pictorialisme. Elle participe par ailleurs à toutes les expositions de la Société française de photographie, qui, elle, est boudée par les avant-gardes, car symbole d’un certain classicisme.

Toutefois, Laure Albin Guillot ne se fait apôtre d’aucun mouvement. La photographie est pour elle avant tout un art décoratif et c’est dans ce domaine qu’elle entend innover, se qualifiant même « d’artiste décorateur ». Elle applique ses travaux d’optique à différents objets, comme un abat-jour qu’elle expose chez le décorateur Jean Pascaud ou bien une reliure de livre présentée aux côtés d’un ensemble de « tissus, gardes de livres, boîtes, sacs de bonbons, dont la décoration est [elle aussi] de lordre photographique » à l’occasion du Salon des Artistes décorateurs au Grand Palais.

La presse loue « son grand talent » qui « assure à la photographie une place de choix » au sein des arts décoratifs et va même jusqu’à reconnaître l’entrée de cette technique dans le panthéon des arts majeurs. En 1935, après la visite de deux expositions de la photographe, le journal des arts Comœdia admet qu’il « apparaît indéniable que la Photographie peut sortir du domaine des reproductions mécaniques pour entrer dans celui des moyens d’expressions ». L’année suivante, L’Homme libre assure que c’est grâce « aux efforts et au talent » de « cette magicienne aux yeux très doux » que la photographie a « conquis ses lettres de noblesses ».

Le combat de Laure Albin Guillot pour la reconnaissance de la photographie passe aussi et surtout par son parcours institutionnel. En 1932, elle crée la Société des Artistes Photographes. La même année, elle est nommée à la tête des archives photographiques de Beaux-arts.

Cet événement constitue une petite révolution féministe dans le monde culturel, comme le note Beaux-arts, qui toutefois ne manque pas de conclure avec misogynie en notant les qualités nécessairement « très féminines » que nécessitent ce rôle :

« La tâche qui s’offre à Mme Laure Albin-Guyot nous parait convenir parfaitement à une femme.

Le service des archives photographiques exige en effet, ces soins minutieux, ce classement méthodique, cet ordre diligent sans lesquels il n’est point d’harmonie administrative.

C’est un secret que possèdent d’instinct les mains féminines. »

Cela ne vient en aucun cas ralentir son ascension. L’année suivante, Albin Guillot prend ainsi la direction de la Cinémathèque nationale. Elle projette de créer un grand musée des arts mécaniques qui ne verra pas le jour mais témoigne encore de sa volonté de valoriser le huitième art. En 1937, alors présidente de l’Union féminine des carrières libérales et commerciales, elle participe activement à l’organisation de l’exposition des Femmes Artistes d’Europe au Jeu de Paume.

Ses nouvelles fonctions sont loin d’empiéter sur sa créativité. Elle expose ses dernières recherches aux côtés de Jean Painlevé (1933), publie Narcisse avec Paul Valéry (1936), puis le Louvre la nuit (1937). Elle est choisie pour illustrer Aspects de la France (1938) édité par le gouvernement à l’occasion de la visite des souverains britanniques en France. Répondant surtout à des commandes commerciales, elle reste active jusque dans le milieu des années 1950.

A l’âge de 75 ans Laure Albin Guillot envisage finalement de poser son appareil et se retire, en 1956, à la Maison nationale des artistes de Nogent-sur-Marne. La « magicienne aux yeux très doux » s’éteint en 1962, laissant en héritage une vie vécue à travers un objectif de velours et un engagement de fer.

Pour en savoir plus :

Collectif, Laure Albin Guillot : L’enjeu classique, Paris, Jeu de Paume, La Martinière, 2013

Christian Bouqueret, Laure Albin Guillot, ou La Volonté d’art, Paris, Marval, 1996

Christian Bouqueret, Des Années Folles Aux Années Noires: La Nouvelle Vision Photographique En France 1920-1940, Paris, Marval, 1997