Écho de presse

La gloire oubliée de Walter Scott, grand pionnier du roman historique

le 03/01/2023 par Pierre Ancery
le 12/10/2022 par Pierre Ancery - modifié le 03/01/2023
L'écrivain Walter Scott, portrait de Sir Henry Raeburn, 1822 - source : WikiCommons
L'écrivain Walter Scott, portrait de Sir Henry Raeburn, 1822 - source : WikiCommons

Avec ses romans situés dans l’Écosse de jadis, l’auteur d'Ivanhoé (1771-1832) connut un gigantesque succès au début du XIXe siècle. Admiré en son temps par Dumas, Balzac ou Hugo, il vit pourtant son nom relégué, à partir du XXe siècle, parmi les écrivains désuets pour enfants.

Qui, aujourd’hui, lit encore Walter Scott ? Du célèbre auteur écossais, les lecteurs français se souviennent surtout d’Ivanhoé (1819), souvent réédité dans des collections pour enfants ou dans des versions abrégées. Le reste de son œuvre a presque été oublié.

Pourtant, Scott fut l’un des écrivains les plus populaires de son temps, célébré tant en Grande-Bretagne que dans le reste de l’Europe. En France, ses disciples se nommèrent Alexandre Dumas, Victor Hugo ou Honoré de Balzac. À Glasgow ou à Édimbourg, des monuments édifiés au cœur de la ville témoignent encore de sa place au panthéon des écrivains écossais, qu’il partage avec Robert Louis Stevenson et le poète Robert Burns. 

Walter Scott fut un auteur prolifique. Son œuvre compte une vingtaine de romans, parmi lesquels Waverley (1814), L’Antiquaire (1816), Rob Roy (1817), La Fiancée de Lammermoor (1819) ou Quentin Durward (1823) ont déclenché à leur parution une ferveur difficile à imaginer de nos jours.

Né à Édimbourg en 1771, il connut le succès dès Le Lai du ménestrel, un conte médiéval en vers publié en 1805. En 1810, la parution de La Dame du Lac provoque au Royaume-Uni une vogue remarquée en France par Le Journal de l’Empire :

« The Lady of the Lake, ou la Dame du Lac ; tel est le titre d’un nouveau poème de M. Walter Scott, un des poètes les plus aimés du public anglais.

Plus de quarante mille exemplaires de ce poème ont été vendus dans l’espace de deux ans ; l’auteur a depuis donné deux nouveaux ouvrages, le Lai du Ménestrel et Marmion, dont le succès n’a pas été moins extraordinaire. »

Avec Waverley, paru anonymement neuf ans plus tard, l’écrivain donne ses lettres de noblesse à ce que l'on nommera le roman historique, un genre dans lequel il eut quelques prédécesseurs, mais qu’il sut entièrement réinventer. Avec ce récit qui se déroule en Angleterre et en Écosse au XVIIIe siècle, à l’époque de la révolte jacobite, Scott veut réhabiliter les anciennes coutumes des habitants de l’Écosse, afin de « susciter de la sympathie pour leurs vertus et de l'indulgence pour leurs faiblesses ».

Ce sera un immense succès : l’auteur a trouvé une formule qu’il réutilisera dans la plupart de ses romans. La Gazette de France note en 1818 :  

« L’auteur se plaît à décrire le pays pittoresque qui fut le théâtre de ces événements, et si l’on en juge par le prodigieux succès qu’ont obtenu ses ouvrages en Angleterre, il semble que ses descriptions ont pour ses compatriotes tout l’intérêt d’une découverte. »

L’Écosse sera le grand sujet de Walter Scott, lui qui l’avait longtemps parcourue avant d’en faire le cadre de la plupart de ses romans. Une Écosse sauvage et mythifiée - celle des forêts, des lochs, des Highlands et des vieilles légendes - qu’il popularisa en Europe à une époque où l’histoire de cette contrée rebelle, attachée depuis 1707 à l’Angleterre, était largement ignorée ou oubliée.

Une Écosse très éloignée, aussi, de celle de ce début du XIXe siècle, à l’heure où la Révolution industrielle est en train de changer la face du pays. Dans les romans historiques de Scott, les lecteurs cherchent aussi une échappatoire, un contrepoids aux laideurs et aux servitudes de la modernité.

En France, les traductions de ses romans rencontrent un immense succès. Traduit en 1820, Ivanhoé, dont l’intrigue se déroule dans l’Angleterre du XIIe siècle, va devenir un classique, en dépit de certaines critiques qui, à la parution, font la fine bouche. On lit par exemple dans La Renommée, le 18 février 1820 :

« Il a cherché à peindre les mœurs chevaleresques de l'Angleterre au temps de Richard Cœur de-Lion ; et son roman a du naturel, de la vérité, de l'intérêt. Mais l’éloignement de l’époque qu’il a choisie, la singularité des mœurs aujourd’hui inconnues qu’il retrace, et de trop minutieux détails dans la partie descriptive, mettent cet ouvrage un cran au-dessous de Waverley et des Contes de mon Hôte [...].

Les Radclyffe et les Lewis nous ont dégoûté des châteaux gothiques et des ponts-levis et des salles d'armes. Nous demandons à être intéressés par des récits qui se rapprochent davantage de nos mœurs, de nos institutions et de nos idées. »

Qu’importe : Ivanhoé remportera les suffrages du public. Le roman, comme d’autres de Walter Scott, est adapté au théâtre, tandis que des peintres comme Eugène Delacroix, Ary Scheffer ou Horace Vernet tirent leur inspiration des récits de l'écrivain.

Allan M'Aulay, personnage du roman Une légende de Montrose de Walter Scott, peinture d'Horace Vernet, 1823 - source WikiCommons

Au milieu des années 1820, la popularité de l’écrivain est à son zénith.  Lorsqu’il se rend à Paris en 1826 afin d’y faire des recherches pour sa Vie de Napoléon (qui paraîtra en neuf volumes !), c’est un événement que relatent la plupart des titres de presse. Le Journal des débats politiques et littéraires raconte le 8 novembre : 

« Walter Scott est depuis quelques jours à Paris [...]. Déjà quelques-uns de ses nombreux lecteurs ont pu voir de près l'illustre romancier-historien, admirer sa modestie, et sourire des faits piquants dont sa conversation est semée.

Quant à sa personne, on a pu vérifier combien est exact le portrait qu'en a tracé l'auteur du Voyage historique et littéraire en Écosse. Déjà on a reconnu sir Walter Scott dans un de nos théâtres, à la représentation d'Ivanhoé, où, en exprimant sa satisfaction en étranger poli, il a regretté que le tournoi ne fut pas exécuté sur scène : réflexion caractéristique de la part de l'homme qui reproduit avec de si vives couleurs les jeux chevaleresques des âges féodaux. »

Il sera même reçu par le roi Charles X. C’est aussi à Paris qu’en 1827, Walter Scott reconnaît pour la première fois être l’auteur anonyme de Waverley - un secret de polichinelle pour les lecteurs de l’époque.

Lorsqu’il meurt en 1832, toute la presse française lui rend hommage. L’oraison funèbre du Figaro donne une idée assez claire du prestige immense de l’Écossais : pour le journal, aucun écrivain européen ne lui arrivait à la cheville.

« Pourquoi chercher à le remplacer ? Cherchons-nous un successeur à Corneille, à Racine, à Shakespeare ? Nous attendons. Cest plus poli pour les vivants [...].

On le suit, on le calque, on l'imite en Russie et en Amérique, à Paris et à Calcutta. C'est peut-être un malheur. Car beaucoup d'originalités se sont perdues et se perdront dans cette grande originalité. »

La postérité sera moins tendre avec Walter Scott. Célébré pendant toute la période romantique, il perdra de sa superbe au fil du XIXe siècle. Lorsque arrive le XXe, ses romans sont jugés puérils ou désuets. En septembre 1932, le journal pour adolescents A la page commence ainsi l’article paru à l’occasion du centenaire de sa mort :

« Le 21 septembre 1832, mourait à Abbotsford le grand romancier anglais, sir Walter Scott. Vous ne connaissez sans doute que très peu l’œuvre de cet écrivain qui eut grand succès, car les jeunes générations ne le lisent plus guère.

Depuis longtemps, la trentaine de volumes qui compose son œuvre s’en est allée de la bibliothèque de famille vers quelque coin retiré du grenier, dans ce domaine des rats et des souris qui s’attaqueront aux belles reliures en plein veau comme à du pâté. »

Cruel retournement de situation : la critique, rétrospectivement, donnera une importance bien plus grande à certains de ses compatriotes et contemporains (par exemple Jane Austen, qu’il fut l’un des premiers à défendre) ou à ses innombrables disciples (Hugo, Pouchkine, Tolstoï, Balzac...) qu’à l’écrivain fêté de son vivant.

C’est le cinéma qui tirera quelque peu Walter Scott de son purgatoire, notamment avec l’adaptation à succès d’Ivanhoé en 1952, avec Elizabeth Taylor.

En France, ses œuvres ont été éditées au sein de la prestigieuse Bibliothèque de la Pléiade en 2007. Signe, peut-être, que l’histoire de la littérature n’en a pas tout à fait fini avec l’auteur de Rob Roy et de Waverley.  

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Pour en savoir plus :

Michael Hollington, Sir Walter Scott, Ellipses, 1998

Henri Suhamy, Sir Walter Scott, éditions De Fallois, 1992