Écho de presse

La campagne de Cochinchine, coup d'envoi de la colonisation de l'Indochine

le 15/12/2022 par Pierre Ancery
le 18/08/2019 par Pierre Ancery - modifié le 15/12/2022
Prise de Saïgon le 17 février 1859, dessin paru dans l'Illustration, 23 avril 1859 - source : WikiCommons
Prise de Saïgon le 17 février 1859, dessin paru dans l'Illustration, 23 avril 1859 - source : WikiCommons

En 1858, sous prétexte de protéger des missionnaires catholiques persécutés, la France envoie des troupes en Cochinchine (actuel Viêt Nam). Cette expédition deviendra une guerre, qui se soldera par la victoire française et l'annexion de la région.

1857, sous le Second Empire. La France a des vues sur la Cochinchine, nom donné au Sud de l'actuel Viêt Nam, une région d'un intérêt stratégique considérable pour les intérêts commerciaux français en Extrême-Orient. Elle rêve en effet de se constituer un « balcon sur le Pacifique » pour concurrencer les Anglais, très présents en Asie.

 

Les milieux d'affaires sont donc favorables à l'envoi d'une expédition militaire dans la région. Les milieux catholiques aussi, pour une autre raison : depuis le XVIIe siècle, des missionnaires français sont présents en Cochinchine, où ils ont constitué une importante communauté chrétienne. Or, l'empereur d'Annam, Tu Duc (1829-1883), de la dynastie Nguyễn, persécute et harcèle ces hommes d’Église.

« On nous écrit de Touranne (Cochinchine), à la date du 7 décembre dernier, que le roi Tsu-Duc sévit avec une tyrannie toujours croissante contre ses sujets, chrétiens ou infidèles.

 

Les six cent mille chrétiens de l’empire annamite, leurs quatorze évêques français, leurs nombreux missionnaires n’ont plus d’espoir que dans les bons offices de la France. »

La décapitation sur ordre de l'empereur, en juillet 1857, d'un missionnaire espagnol au Tonkin va servir de prétexte idéal à l'envoi de troupes françaises sur place. Celles qui ont servi pendant la Seconde guerre de l'opium se trouvent déjà opportunément à proximité.

 

En novembre, Napoléon III autorise le vice-amiral Charles Rigault de Genouilly à mener une expédition punitive contre l'empire d'Annam. L'Espagne va lui prêter main-forte.

 

Le 31 août 1858, des forces franco-espagnoles (13 bâtiments et quelque 3 000 hommes) débarquent dans la baie de Tourane, qui donne sur la mer de Chine méridionale, et s'emparent de la ville (actuelle Da Nang).

 

Mais la suite de l'expédition se révélera plus difficile que prévue : les Vietnamiens, sous-estimés par les Français, opposent une ferme résistance aux troupes européennes. Ce que note Le Constitutionnel du 16 novembre dans un article reprenant par ailleurs l'argumentaire « moral » utilisé par le pouvoir français :

« Ce qui surprend, dans les combats que nous livrons depuis un an aux peuples asiatiques, en Chine et en Cochinchine, ce n'est pas la promptitude de nos succès, c'est au contraire la résistance qu'on nous oppose et dont il ne faut rien moins que notre science militaire et la valeur bouillante de nos soldats pour triompher si rapidement et si facilement. Nous ne croyions pas cette race molle et abâtardie capable, nous ne dirons pas de tenir tête aux troupes européennes, mais seulement de les regarder en face [...].

 

L'issue du conflit est certaine. La justice et la civilisation vont avoir encore une fois à s'applaudir de la France. Mais nous avons voulu montrer, par la résistance qu'on nous oppose : d'abord que l'Europe ne doit intervenir dans ces contrées asiatiques qu'avec une juste cause, et qu'il faut qu'elle cesse d'y paraître avec un caractère d'avidité et d'ambition [...]. »

Plus pragmatique, Le Journal des débats politiques et littéraires se félicite le 24 novembre des débouchés commerciaux ouverts par la probable conquête de la région :

« Maintenant que les forces françaises et espagnoles combinées se sont emparées de Tourane, qu'on nous permette de jeter un coup d’œil sur cette partie du littoral de l'empire d'Annam, et d'examiner jusqu'à quel point la prise de possession pourra en être utile un jour à nos intérêts commerciaux [...].

 

Pourquoi Tourane n'en deviendrait-elle pas l'entrepôt général pour les contrées de la Transmalaisie ? Pourquoi notre commerce, qui a toujours et si vivement désiré dans ces mers un point fixe où il pût compter sur l'appui du pavillon national, ne tenterait-il pas d'y créer, aujourd'hui qu'il peut légitimement l'espérer, un comptoir émule de Singapore et de Batavia ? »

Rigault laisse une partie des troupes à Tourane, où la bataille contre les Vietnamiens a repris (coûteuse en vies humaines, à cause des maladies, elle durera jusqu'en mars 1860).

 

Le 17 février 1859, ayant ouvert un nouveau front, le commandant de l'expédition prend les forts de Saïgon (actuelle Hô-Chi-Minh-Ville). La presse française s'en réjouit et fournit un compte-rendu complet de la bataille, à l'instar du Monde illustré du 23 avril, qui comptabilise le butin amassé :

« L'expédition ouverte, sous d'aussi favorables auspices, a été couronnée du succès le plus complet. Le 17 mars, le feu des batteries de Saigon était éteint par celui de nos steamers et ses fortifications enlevées par nos troupes de débarquements.

 

Deux cent bouches à feu en fer et en bronze, une corvette, sept jonques de guerre [...], enfin une caisse militaire où se trouvaient 130 000 francs en monnaie du pays, ont été les trophées de ces succès, qui, de plus, nous ont rendus maître de vingt-cinq lieues de rivières défendues par trois estacades, de onze forts, d'une citadelle et d'une ville de premier rang. »

En novembre, Rigault est remplacé par l'amiral François Page. Il poursuit l'expédition, se rendant peu à peu maître des provinces du delta du Mékong. Le 15 février 1861, les troupes franco-espagnoles brisent les lignes fortifiées de Chi-Hoa et Ky-Hoa. Le 12 avril, elles prennent My-Tho.

 

En France, on applaudit, comme dans Le Mémorial de la Loire et de la Haute-Loire qui écrit le 28 mai : « La prise de Mytho sera bientôt suivie de celle de Bien-Hoa ; et nous serons maîtres alors de toute la basse Cochinchine ou Cambodge.»

La première messe célébrée à Saïgon, Le Monde Illustré, 26 octobre 1861 - source : RetroNews-BnF
La première messe célébrée à Saïgon, Le Monde Illustré, 26 octobre 1861 - source : RetroNews-BnF

L'empereur Tu Duc, acculé, a recours à la guérilla. Mais le 5 juin 1862, il finit par signer le traité de Saïgon, cédant aux Français Saïgon, trois provinces méridionales et l'archipel de Poulo Condor. C'est la création, de fait, de la colonie française de Cochinchine.

 

Commentaire du Constitutionnel, le 30 juillet 1862, dans un article intitulé « La Cochinchine pacifiée » :

« L'expédition de Cochinchine vient de se terminer par une paix heureuse et dont les conséquences ne se feront point attendre. Moralement nous avons obtenu un grand résultat, en apprenant à un despote oriental le respect qu'on doit à la France et en assurant la liberté et la sécurité du culte chrétien dans de vastes régions barbares qui mettaient leur gloire à le persécuter.

 

Sous le rapport matériel, notre succès n'est pas moins important [...]. Les derniers événements dans ces lointaines contrées sont donc un nouveau succès pour nos armes et une victoire de plus pour la politique de l'Empereur.

 

C'est un triomphe aussi pour la civilisation, qui ne fait jamais mieux son chemin dans le monde que lorsqu'elle s'appuie à la fois sur l'épée de la France et sur le christianisme. »

Les Espagnols, dont le rôle fut moindre dans la campagne, ne reçurent qu'une indemnité financière.

 

En 1863, les Français poursuivent leur implantation dans la région avec l'instauration du protectorat français du Cambodge. En 1883, sous la IIIe République, l'expédition du Tonkin aboutit à l'établissement de deux autres protectorats au Viêt Nam. Et en 1887, l'Union indochinoise est créée.

 

Il faudra attendre les accords de Genève en 1954, presque un siècle après le début de la campagne de Cochinchine, pour que les Français mettent un terme à leur présence sur place.

 

 

Pour en savoir plus :

 

Pierre Montagnon, France-Indochine, Un siècle de vie commune (1858-1954), Flammarion, 2004

 

Philippe Héduy, Histoire de l'Indochine, la perle de l'Empire, 1624-1954, Albin Michel, 1998

 

Blandine Boltz, La conquête de Tourane, 1858-1860. L’expérience d'une défaite coloniale au Viêt Nam, Bulletin de l'Institut Pierre Renouvin (à lire sur Cairn.info), 2019