Interview

« L'insurrection des esclaves de Saint-Domingue a imposé l'abolition »

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Illustration de « l'incendie du Cap » à Saint-Domingue en 1793, circa 1815 - source : WikiCommons

Spécialiste de l'esclavage, l'historien Marcel Dorigny revient sur les ravages causés par la traite négrière, le combat des antiesclavagistes, et la révolte de Saint-Domingue qui obligea la Convention à adopter le décret d'abolition, en février 1794.

Marcel Dorigny enseigne à l’Université Paris 8. Spécialiste du colonialisme, il a consacré de nombreux ouvrages aux courants antiesclavagistes.

Son dernier ouvrage, « Arts et Lettres contre l’esclavage », est le premier livre d’art consacré à la mémoire des artistes qui ont mis leur créativité au service de l’abolition de la traite et de l’esclavage des êtres humains.

Propos recueillis par Marina Bellot

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RetroNews : Dans leur combat, les abolitionnistes ont toujours distingué la traite de l’esclavage. Comment traite et esclavage s'articulent-ils ?

Marcel Dorigny : La traite négrière est le commerce des esclaves, qui transporte des millions d’hommes des côtes d’Afrique vers les colonies des Amériques et de l'Océan indien. C’est une activité de longue durée, commerciale, qui remplit en main d’œuvre servile les plantations, les mines, etc.

L’esclavage, c’est le résultat de la traite. La traite est là pour fournir des esclaves.

Dans leur combat, les abolitionnistes ont toujours soigneusement distingué les deux. Le mouvement abolitionniste, qui est né de la pensée des Lumières et qui a pris une forme d’organisation politique en Angleterre, puis en France et aux États-Unis, a pour priorité d'abolir la traite, avec une triple argumentation : d’abord, le commerce d’êtres humains est par définition en dehors du droit.

Ensuite, le transport, la traversée, se fait dans des conditions épouvantables : c’est donc une pratique barbare.

Enfin, sur la longue durée, la traite détruit et dépeuple les sociétés africaines. Les esclaves capturés ont entre 15 et 35 ans, ils sont donc dans la force de l’âge, majoritairement des hommes. C’est un prélèvement humain énorme sur l’Afrique, qui déstructure les sociétés. Autre conséquence : la dénatalité. Tout cela fait qu’à la fin du XIXe siècle, quand la traite va finalement s’arrêter, l’Afrique est un continent sous-peuplé, ce qu’on a oublié aujourd’hui.

Les abolitionnistes pensent que les aspects les plus violents de l'esclavage disparaîtront de fait si la traite cesse, car le système de l'esclavage ne vit que par la traite. D’abord parce que l’espérance de vie sur une plantation sucrière est très courte – de 10 à 15 ans. Et puis parce qu’il y a chez les esclaves importés un déséquilibre sexuel : ...

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