Interview

1871 : la grande insurrection algérienne punie par le séquestre

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Illustration de la « Révolte de Mokrani » par M. Riballier, La Chronique illustrée, 1871 - source : RetroNews-BnF

Dans le sillage de la révolte de 1871 en Algérie, 900 000 Algériens se sont vu infliger un séquestre sur leurs terres. Une mesure punitive d'une ampleur exceptionnelle qui a servi à asseoir la colonisation française, comme le montre l'historien Didier Guignard dans 1871. L'Algérie sous séquestre.

RetroNews : Quel est le contexte de cette « année terrible » qu'est 1871 pour la France ?

Didier Guignard : « L’Année terrible » est une expression de Victor Hugo qui se réfère à la situation en France marquée par la défaite contre la Prusse puis la Commune de Paris. Or ces deux événements ont des répercussions majeures en Algérie, à la fois pour expliquer la grande révolte de 1871, mais aussi la fabrique de l’instrument séquestre.

La longue durée doit être mobilisée malgré tout pour comprendre cette insurrection. Un droit hybride a été forgé dans les quarante années qui précèdent ; une législation foncière nouvelle est appliquée sur une bonne partie du territoire. Elle transforme le statut de la terre et les manières de trancher les litiges. Même là où les colons ne sont pas encore implantés, ces réformes perturbent ou inquiètent les populations locales.

D’autres facteurs déclencheurs, notamment religieux, s’avèrent décisifs. La confrérie soufie Rahmaniyya embrasse tout l’est du Maghreb et est capable d’entraîner les musulmans des campagnes contre les « infidèles ». Par ailleurs, les premières défaites contre la Prusse provoquent la chute du Second Empire en 1870. Or Napoléon III avait développé une politique particulière à l’égard des grands féodaux algériens, à qui il pouvait concéder des apanages et le commandement de troupes auxiliaires. Pour consolider la conquête en évitant les révoltes, il avait également freiné l’appropriation foncière des colons. La chute du régime est donc une grande source d’inquiétude chez ces notables algériens et la révolte commence précisément sous la bannière de l’un d’eux, le bachagha Al Mokrani qui, en mars 1871, assiège le centre européen de Bordj Bou Arreridj.

L’insurrection gagne rapidement le centre et l’est du pays, régions les plus densément peuplées. Si le séquestre est d’abord pensé comme une mesure préventive, visant à empêcher la propagation de la révolte, il devient en quelques mois une mesure punitive de confiscation à grande échelle des biens (argent, terres, plantations) pour servir d’abord la colonisation.

Quelle est la particularité des séquestres collectifs de 1871-1873, par rapport à ce qui avait été mis en œuvre lors de la conquête de l'Algérie, en 1830 ?

Le séquestre existe depuis longtemps en droit romano-germanique. La Monarchie de Juillet réactive cet outil légal dans les années 1830-1840 pour faciliter la conquête de l’Algérie. Il menace et cible les « ennemis de la France » en contexte de guerre, n’affecte en principe que les « meneurs » de la résistance à titre individuel, même si leurs familles sont aussi touchées dans leurs intérêts. Quand elle est ordonnée, la mainmise de l’É...

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