Écho de presse

1945 : le retour du Normandie-Niémen, le régiment français parti combattre avec l’URSS

le 04/07/2021 par Nicolas Skopinski
le 10/04/2019 par Nicolas Skopinski - modifié le 04/07/2021
Arrivée au Bourget des pilotes du régiment français le Normandie-Niémen, Regards, juin 1945 - source : RetroNews-BnF
Arrivée au Bourget des pilotes du régiment français le Normandie-Niémen, Regards, juin 1945 - source : RetroNews-BnF

Le 20 juin 1945, les pilotes français envoyés en soutien de l’URSS par le général De Gaulle rentrent au pays. L’occasion pour la presse communiste de se lancer dans une grande campagne de séduction politique.

Des centaines de paires d’yeux scrutent le ciel au-dessus du Bourget, éblouis par un soleil de plomb en ce 20 juin 1945.

On les annonce depuis plusieurs jours. La quarantaine d’hommes du régiment Normandie Niémen, ces pilotes de chasse ayant combattu aux côtés des Russes, revient en France. Comme des « oiseaux migrateurs s’en revenant d’un horizon lointain », relate le journal socialiste L'Aube.

« Avant de se poser pour la première fois depuis trois ans sur un terrain français, les aviateurs français, qui sont accompagnés de leurs mécaniciens soviétiques, défileront en formation au-dessus de Paris, de la place de la Nation à l’Étoile. »

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Voilà plus de deux ans qu’ils sont partis. Il ne s’agissait alors que d’une poignée, qui a vu ses rangs gonfler au fil des mois. Envoyés par le général de Gaulle sur le front russe, tous étaient alors des volontaires. En cas de capture d’un aviateur français libre, les forces allemandes avaient reçu l’ordre par le maréchal Keitel de l’exécuter sans jugement.

42 d’entre eux, sur les 97 au total, périront dans les combats.

Réputés pour leur combattivité, forts de 273 appareils abattus, ces pilotes se sont attiré le respect des officiers soviétiques. Jusqu’au Kremlin. Très vite, à Moscou, l’occasion semble belle d’en faire un élément de communication politique en vue de l’après-guerre. Staline le comprend et intervient personnellement, comme en atteste dans ses mémoires, Un du Normandie Niémen, le sous-lieutenant Roger Sauvage.

« Un prikaz spécial (de Staline) décrète que “des combattants victorieux doivent s’en retourner avec leurs armes”. Il est fait don à chacun de nous de son Yak à titre personnel. […]

Malheureusement, nos avions nous ont été repris à l’arrivée. »

Les autorités françaises sont prises de court. L’information a déjà été très largement relayée par la presse, et notamment par le journal communiste Ce soir, photo à l’appui.

« C’est demain après-midi, à 16h30, que les 41 Yak 3 du régiment de chasse Normandie Niémen arriveront à Paris. »

Les pilotes reviennent sur des avions soviétiques, flanqués de l’étoile rouge, premiers à pénétrer l’espace aérien français. En manque de matériel, et officiellement pour une question réglementaire, l’Armée de l’air prend possession des avions. Mais le coup de communication recherché par Staline est réussi.

En plus de ces avions de chasse extraordinaires, tout chez ces pilotes est une ode au voyage, au dépaysement. Outre leur casquette et leur veste de pilotes français, ils sont vêtus de pantalons et de bottes russes, mais également d’un battle-dress britannique… Car les premiers éléments envoyés par de Gaulle avaient combattu pour la Royal Air Force.

La revue illustrée Regards, également de tendance communiste, envoie  la grande reportrice Simone Téry pour aller à leur rencontre sur le chemin du retour. Pendant trois jours, la journaliste et romancière va récupérer des « histoires féériques » et présenter les as de cette unité.

« Il n’y a rien de plus difficile à faire parler qu’un héros, car un héros se reconnaît à ceci qu’il est persuadé de n’avoir rien fait d’extraordinaire : l’admiration qu’on lui témoigne lui porte sur les nerfs. Il a l’impression qu’on le fait marcher ; et il ne veut pas marcher.

Et pourtant, moi, qui depuis leur arrivée à Stuttgart jusqu’à la réception triomphale du Bourget, ai passé trois jours avec les pilotes du Normandie Niémen, je reviens avec un carnet rempli de tant d’histoires féériques, qu’il me faudrait un volume pour vous les raconter. »

Dans le même mouvement, Ce soir porte aux nues « les héros ». Outre une présentation des figures du régiment, le journal retranscrit une lettre du sous-lieutenant de Geoffre dans laquelle il narre son aventure après avoir été abattu, à moitié inconscient sur un radeau de fortune sur la Baltique, au large de Kaliningrad.

« Récit sans littérature, poignant comme la réalité même, et qui fait revivre au lecteur les heures dramatiques qu’a vécu le signataire. »

Dans cette quête de « l’histoire féérique », la rédactrice omet quelques éléments qui font sourire les pilotes du Normandie Niémen, comme le relate le sous-lieutenant Sauvage, venu prendre des nouvelles de Geoffre avec le commandant Delfino.

« Il n’a rien perdu de sa faconde :

– Content de vous voir, mais il ne fallait pas vous déranger si vite.

– Dites-donc, une aventure pareille…

– Cette lettre, c’était pour faire un “récit de guerre”. Mais c’est surtout après… Le chirurgien russe taillait et tranchait sur une table de bois blanc, sans anesthésie générale. […] Je ne suis pas sûr qu’il se lavait les mains. Il voulait m’enlever la guibole. J’ai fait non, ça n’a pas porté. J’ai dit non en français et il m’a juste recousu, ce qui fait que j’ai pu danser le soir. »

Relatées plus tard dans diverses revues et mémoires, les anecdotes des pilotes à propos des conditions de vie parfois discutables qu’ils ont connues en URSS, sont balayées. Maladies, froid, manquements dans le service sanitaire et le ravitaillement, sans compter la surveillance permanente du NKVD vis-à-vis des pilotes soviétiques jugés trop « proches » de ces étrangers. Dans Regards, il est surtout question des aspects positifs de la république socialiste, quitte à en rajouter :

« Et voilà que ces garçons qui n’avaient que l’idée de combattre pour la France où que ce soit, reviennent tous enthousiasmés de l’Union soviétique. Ils sont très étonnés de ce qu’ils ont vu là-bas : on leur avait tellement bourré le crâne ! […]

Ils ne tarissent pas sur l’Armée Rouge, sur leurs grands copains les aviateurs russes, sur le peuple soviétique, tout entier donné à la guerre, son abnégation, son élan, son incroyable héroïsme, sur la générosité, la franchise, l’inépuisable amitié des Russes. »

Le lien unissant ce régiment à la Russie soviétique se distendra quelques années plus tard, lorsque les pilotes restant seront rééquipés en matériel américain. Après avoir stationné au Maroc, le Normandie-Niémen sera envoyé à Saïgon, en 1947, lors de la guerre d’Indochine.

Le rideau de fer s’apprêtait à diviser l’Europe en deux. Il n’était alors plus question « d’inépuisable amitié des Russes ».

Pour en savoir plus :

Roger Sauvage, Un du Normandie-Niémen, J’ai Lu, 1963

Roland de la Poype, L’épopée du Normandie Niémen, Perrin, 2011