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Massacre d'Oradour : une survivante témoigne de l'horreur

le 24/10/2023 par L'Echo d'Alger
le 07/06/2023 par L'Echo d'Alger - modifié le 24/10/2023

Oradour-sur-Glane est tristement célèbre pour avoir été le théâtre du plus grand massacre de civils commis en France par l'armée allemande pendant la Seconde Guerre mondiale. Deux mois après le drame, l'Echo d'Alger publie le témoignage d'une survivante, qui raconte l'horreur, et la sidération.

Village situé à une vingtaine de kilomètres au nord-ouest de Limoges, Oradour-sur-Glane est un bourg paisible de quelques centaines d’habitants.

Politiquement, la commune est située à gauche, surtout depuis les élections municipales de 1935, qui se soldent par une dominance de la SFIO. A partir de 1939, trois vagues successives de réfugiés sont accueillies à Ouradour : des républicains espagnols, des populations évacuées d’Alsace et de Lorraine ainsi que des réfugiés juifs. Le 10 juillet 1940, lorsque les parlementaires doivent voter les pleins pouvoirs constituants à Pétain, l'élu de la circonscription qui comprend Oradour, Léon Roche, vote contre. 

En avril 1944, la division SS « Das Reich » est mise au repos dans la région de Montauban. Malgré tout, certains des membres de cette division participent à des opérations violentes contre les résistants, mais aussi envers les populations civiles.

Le 10 juin, plusieurs blindés arrivent dans le bourg d’Oradour. Le village est encerclé. Les habitants sont appelés à se rendre sur le champ de foire, au prétexte d'une distribution de viande et de tabac. Les hommes, femmes et enfants sont séparés. Ils seront tués puis brûlés. On enferme les femmes et enfants dans l’église du village, on les exécute, avant que les soldats tentent de détruire l’édifice avec des explosifs. Il s’agit du plus grand massacre de civils commis en France par l’armée allemande : on dénombre aujourd’hui 643 victimes.

Presque deux mois après la tragédie, le 6 août 1944, L’Écho d’Alger publie le témoignage déchirant d’une survivante.

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TÉMOIGNAGE

Une survivante écrit…

« CHÈRE tante, je viens te charger d’annoncer à ma sœur le grand malheur qui nous frappe, nous n’avons plus de mère et il nous reste plus qu’une fille.

Beau-père, belle-mère, oncle, tantes, cousins et cousines, nous n’avons plus personne.

Le pays est tout brûlé à partir du Vignaud de chez Giroux, jusqu’au Bergères, et à Bellevue il ne reste pas une maison, femmes, enfants, hommes tout y a passé.

On a rassemblé les hommes en haut du champ de foire, où on les a fusillés et brûlés ensuite. Pour deux minutes, notre pauvre Marcelle était passé, elle allait au travail et était à moitié chemin quand une voiture allemande lui fit faire demi-tour. Les patrons chez qui elle travaillait ont été épargnés à ce massacre. Deux fois ils les ont rassemblés pour les faire descendre et ils les ont laissés. Nous avons appris cette triste chose par les uns et les autres, mais c’était tellement monstrueux que nous ne pouvions pas y croire.

Mercredi nous avons vu l’horrible chose, tout ce que l’on avait dit était au-dessous de la vérité.

De tout ce qui était Oradour, il ne reste plus rien que les murailles, plus de parents, plus de familles, plus de maisons, plus rien, nous n’avons plus à revenir là-bas, de tout ce que nous aimions il ne reste plus rien, nous avons prié dans l’église sur les cendres des nôtres et c’est tout.

Nous ne pouvons même plus aller pleurer et apporter des fleurs sur la tombe.

En lisant cette lettre, tu vas croire que je suis folle et pourtant, je ne le suis pas encore. Peut-être que je le deviendrais car je ne suis qu’une pauvre loque.........…

Ma famille, 27 personnes en tout. Toi, chère tante, tu perds une sœur qui faisait plus qu’elle ne pouvait pour vous envoyer des colis. Tu perds un frère, une belle-sœur et combien de neveux et nièces. Le pauvre, qui revenait d’un camp de prisonniers, ne retrouvera ni sa femme, ni ses enfants, ni ses beaux-parents, ni rien qui puisse lui rappeler une famille. Pas même une maison où il puisse dormir.

Si tu reçois cette lettre, ce qui n’est pas sûr, ménage ma sœur et apprend-lui la chose tout doucement. Vois sa douleur, mais la nôtre est encore plus grande, notre petite que nous ne verrons plus.

Dans tout ce massacre j’oubliais de te dire qu’il y a quelques survivants. Père est là sans savoir pourquoi ni comment. Il est bien étonné de ne pas voir les voisins. Lui qui était sous son lit avec une jambe cassée. Il s’est sauvé comme il a pu avec quelques autres, enfin une quinzaine environ.

Je crois, chère tante, que j’ai dit à peu près tout car j’ai la tête un peu vide. »