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Juillet 1945 : un résistant déporté raconte Auschwitz

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Bloc des femmes du camp nouvellement libéré d'Auschwitz, extrait du film de la libération des camps de l'Armée rouge, 1945 - source : WikiCommons

Revenu depuis peu de l’enfer de Silésie, le journaliste et poète Jean Forgeor, ex-déporté n°176.212, témoigne de ce qu’il a vu et subi au « lager » : une chronique sidérante de la vie dans les tréfonds de l’Europe nazie.

Quoique les combats aient définitivement cessé en Europe, la Seconde Guerre n’est pas encore terminée lorsque le résistant Jean Goldschmidt, dit Forgeor, évoque son internement dans le tristement célèbre camp de concentration et d’extermination d’Auschwitz-Birkenau pour le journal gaulliste Gavroche. Nous sommes à l’été 1945, les camps viennent d’être « ouverts » par les armées soviétique et américaine. L’innommable, qui se disait auparavant à demi-mot, commence à être abordé de front.

Dans une langue tirée au cordeau, le résistant, journaliste et poète, revient sur son arrestation, sa déportation, le travail forcé et la douleur, les mesquineries et les peines, les humiliations et les modestes joies d’une existence réduite à sa plus simple expression : survivre.

ICI AUSCHWITZ, LE NUMÉRO 176.212 VOUS PARLE

Août 1942. Il y a quelques semaines encore, c'était le maquis entre Gap et Grenoble... Désir bien imprudent d'aller embrasser sa femme à Nice, une dénonciation du chef milicien Pennetti... et c'est l'arrestation, puis Drancy. Et maintenant le train qui roule en cahotant vers l’Allemagne. Dans le wagon, nous sommes cinquante-neuf hommes de tous âges et deux récipients, l’un qui contient trente litres d’eau et l'autre pour ce que vous pensez.

Avec quatre camarades, je fais le service d'ordre, si je puis dire. Il faut plus d'une fois employer la force pour empêcher certains égoïstes de prendre vingt-cinq centimètres de trop : déjà, les Français se font remarquer par un certain respect d’eux-mêmes, par leur sang-froid et leur bonté.

Nous avons fait sauter quelques planches du wagon et nous décidons de nous évader. Juste avant Bar-le-Duc, le train ralentit dans une forte montée. Nous nous sommes battus comme des chiens contre une cinquantaine d’énergumènes enlaidis par la peur : « Vous allez nous faire tous fusiller, etc., etc... » J’ai eu beau leur dire qu'en une demi-heure nous pouvions tous nous évader, il n'y eut rien à faire et, quand ils eurent l'air d’avoir compris, c'était trop tard, nous étions déjà en Allemagne.

Ne croyez pas que la guerre était finie entre les voyageurs. Elle recommença pour l’eau. Pendant trois jours et trois nuits, mes camarades et moi ne primes aucun repos. Ce fut écœurant à tous les points de vue.

Enfin, nous arrivâmes et l'on nous ouvrit les portes. Six heures du matin. En plein bled – en plein...

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