Interview

Mélodie inhumaine : la musique dans les camps nazis

L'orchestre d'Auschwitz devant la cuisine du camp, 1941 - source : Mémorial de la Shoah

Jusqu'à janvier prochain, le Mémorial de la Shoah se propose de revenir sur les orchestres de musiciens prisonniers des camps de concentration et d'extermination ordonnés de jouer par les instances nazies, en vue de donner du « cœur à l’ouvrage » aux autres détenus. Dans un climat d'horreur absolue.

Dans les camps nazis, la musique n’a pas été que clandestine, fredonnée en cachette par esprit de résistance ou instinct de survie ; elle a également été institutionnalisée et a participé de l’entreprise de déshumanisation.

Explications de la musicologue Elise Petit, commissaire de l’exposition « La musique dans les camps nazis » qui se tient actuellement au Mémorial de la Shoah.

Propos recueillis par Alice Tillier-Chevallier

RetroNews : En plus de la musique spontanément entonnée par les détenus, les camps ont été, comme vous le montrez dans l’exposition, le lieu d’une musique contrainte, fondée sur la création d’orchestres et des chants imposés. Comment comprendre cet usage de la musique ? Correspond-il à un projet politique nazi ?

Élise Petit : La création de ces orchestres de détenus ne répond à aucune directive générale que j’ai pu retrouver. Il y a bien en 1942 une directive d’Oswald Pohl, directeur de l'Office central SS pour l'économie et l'administration, qui institue des orchestres SS dans les garnisons des camps dans un objectif de distraction des troupes, mais rien sur les orchestres de détenus. Aucune mention non plus dans les écrits d’Alfred Rosenberg, pourtant responsable de la formation idéologique du parti nazi, ni dans les milliers de pages des journaux de Goebbels, ministre de la Propagande et des affaires culturelles. Cette absence donne à penser que la musique dans les camps échappe complètement au domaine culturel pour ne relever que du militaire et du carcéral. J’ai d’ailleurs trouvé dans les ordres du commandant d’Auschwitz la mention de punitions en heures de chansons infligées aux SS – ce type de punition n’était donc pas réservé aux détenus.

Plus qu’un projet politique, c’est un transfert de la culture prussienne, militaire, à laquelle les SS ont été formés, qui s’opère dans les camps. D’ailleurs, un seul des camps principaux n’a pas eu son orchestre, le camp des femmes de Ravensbrück. Et à mon sens, cette absence d’orchestre pourrait s’expliquer par le fait que le camp a été dirigée par une femme, qui en était commandante en chef et n’appartenait pas à la SS : elle n’avait donc pas suivi le même embrigadement.

A cette transposition du système militaire est venue s’ajouter un sadisme propre à chacun, à l’image de ces SS qui forçaient les Juifs religieux à chanter pendant qu’ils étaient battus.

A quels moments cette musique était-elle imposée ?

La musique servait d’abord pour le départ des équipes au travail le matin et leur retour le soir : il s’agissait de faire marcher les détenus au pas. Le chant permettait sans doute aussi d’empêcher la communication entre prisonniers, et il correspondait à cette culture du chant qui était celle de la Jeunesse hitl...

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