Interview

Des immigrés dans la Résistance : le « groupe Manouchian »

Une du journal collaborationniste Le Matin au lendemain de l'exécution des résistants du FTP-MOI, 1944 - source : RetroNews-BnF

À l'occasion de l’entrée au Panthéon des résistants Missak et Mélinée Manouchian, nous avons rencontré les auteurs de l’ouvrage Avec tous tes frères étrangers, qui retrace l’histoire des FTP-MOI et avec eux, celle des luttes des ouvriers étrangers en France et du militantisme internationaliste des années 1920 à 40.

Nombre d’entre nous résument l’histoire du groupe de résistants dont les Manouchian faisaient partie, les FTP-MOI (Francs-Tireurs et Partisans/Main-d’œuvre immigrée), à celle des dix visages de la fameuse Affiche Rouge. C’est oublier que l’existence de la « Main-d’œuvre Immigrés » s’inscrit dans le temps long des luttes des ouvriers étrangers en France et du militantisme internationaliste.

Pour en parler, nous avons demandé leurs avis à Jean Vigreux, professeur d’histoire contemporaine à l’université de Bourgogne Franche-Comté, et à Dimitri Manessis, docteur en histoire. Ils viennent de rédiger ensemble un livre consacré à la MOI, Avec tous tes frères étrangers (Libertalia, 2024) dans lequel il replace justement la création de cette organisation dans le contexte plus large de l’entre-deux-guerres avant d’évoquer sa spécificité au sein de la Résistance et les contradictions que portent ses mémoires.

Propos recueillis par William Blanc

Retronews : Un point important de votre livre permet de dépasser une vision réductrice des FTP-MOI et de replacer leur action dans le cadre beaucoup plus large des combats des immigrés en France à partir des années 1920. Pourriez-vous nous en dire plus ?

Dimitri Manessis : Cette remarque renvoie à l’intérêt que nous avons eu à écrire ce livre. Nous souhaitions tout d’abord insister sur le fait que dans le sigle FTP-MOI il y a MOI (Main-d’œuvre immigrée), qui s’appelle, jusqu’en 1932, la MOE (Main-d’œuvre Étrangère). Ensuite, nous voulons offrir une synthèse de cette MOI avant, pendant et après la Guerre.

La MOI apparaît donc dans le contexte de l’immédiate après Première Guerre mondiale, à un moment où la France décimée fait appel pour se reconstruire à une force de travail étrangère qui arrive par centaines de milliers dans l’Hexagone. À la même époque, on observe aussi une importante recomposition des gauches suite à la Révolution d’octobre et la division entre socialistes et communistes. Ces derniers cherchent alors à appliquer concrètement un certain nombre de valeurs et de doctrines qui sont celles de l’Internationale communiste, notamment l’internationalisme prolétarien, c’est-à-dire d’envisager le combat de classe comme un combat dépassant les frontières. Par conséquent, pour les communistes, les prolétaires autochtones ou étrangers ont leur place à égalité dans les luttes en France. Aussi vont-ils très naturellement construire une organisation qui leur est dédiée : la MOE, d’abord dans le champ syndical, dans la CGT-U, puis au sein du PCF et de ce qui est appelé « groupes de langues ». Cette structure devient aussi un outil pour se confronter à la xénophobie présente non seulement dans la société en général, mais également dans le mouvement ouvrier et parfois même communiste. Or ces préjugés, aux yeux des militants, empêchent le libre développement du combat de classe.

Jean Vigreux : Une partie de cette main-d’œuvre étrangère vient en effet en France pour des raisons économiques. Le père du futur FTP-MOI Rino Della Negra, auquel Dimitri et moi avons consacré un précédent livre, est ainsi un briquetier frioulan qui part reconstruire le Pas-de-Calais. Mais il ne faut jamais perdre de vue qu’il y a aussi tout au long de l’entre-deux-guerres une immigration politique de gens qui survécu au génocide des Arméniens, d’autres qui fuient l’arrivée des fascistes au pouvoir en Italie, les régimes autoritaires en Europe centrale et orientale puis le nazisme en Allemagne. Pour ces hommes et ces femmes, la France constitue alors un refuge évident, car ils ont d’elle une image idéalisée. Ils l’assimilent au pays des droits de l’homme, à une terre où il existerait une égalité des races et de religion depuis la Révolution française.

C’est assez frappant, car la France est également le pays de l’affaire Dreyfus. Or, nombre de membres de la MOI sont des Juifs venus d’Europe de l’est.

Jean Vigreux : Oui, mais ils restent fascinés par un récit qui fait de l’Hexagone un pays émancipateur, universaliste, qui met en avant des événements comme la Révolution française, celle de 1848, les démocs-socs de 1849, la Commune, Jaurès. La France, c’est aussi le pays de fondation de la Ligue des droits de l’homme, le pays où s’installe en 1928 la LICA (Ligue internationale contre l’antisémitisme).

Dimitri Manessis : Pour aller plus loin, la France a certes une longue tradition antisémite, mais c’est également un pays où, à la différence de ce qui peut se passer ai...

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