Écho de presse

Rockefeller, « l'homme le plus riche du monde »

le 24/11/2018 par Pierre Ancery
le 11/03/2018 par Pierre Ancery - modifié le 24/11/2018
John Davison Rockefeller, propriétaire de la Standard Oil, dans L'Intransigeant, 4 décembre 1933 - source : RetroNews-BnF

L'implacable et richissime John D. Rockefeller, archétype du « self-made man » ascétique, possédait plus d'un milliard de dollars. Le public français adora le détester.

Le 24 mai 1937, les journaux du monde entier ne parlent que d'une chose : la mort de John Davison Rockefeller, le Crésus américain, l'homme le plus riche du monde, qui amassa une fortune gigantesque en fondant la toute-puissante compagnie pétrolière, la Standard Oil.

 

 

 

Rockefeller, né en 1839 d'un père marchand itinérant spécialisé dans la vente de faux remèdes miracles, a fasciné le public de son époque. Envié, craint, détesté (et quelquefois admiré), il était l'archétype du self-made man à l'américaine : parti de rien, mais dur, travailleur, ascétique, se montrant implacable avec ses adversaires et terriblement exigeant – certains diront impitoyable – avec ses milliers d'employés.

 

Pendant des décennies, cet homme qui n'aimait pas qu'on parle de lui fit la une des journaux, tous prompts à relayer la moindre anecdote sur le « roi du pétrole » américain.

 

En 1906, alors qu'il est déjà considéré comme l'homme le plus riche du monde, Le Matin annonce que le magnat est à la recherche d'un collaborateur de confiance pour « se décharger du fardeau de ses affaires ». Le salaire annuel de l'heureux élu : 5 millions de dollars. La description que livre Rockefeller de ce collaborateur idéal ressemble beaucoup à un autoportrait :

 

« Il me faudrait une nature si noble que les intérêts de son patron fussent, pour cet homme, comme les siens propres, et en même temps un caractère si froid et si inflexible que la ruine d'une douzaine d'industries faisant vivre des milliers de familles, lui fût chose absolument indifférente.

 

L'homme de mon choix sera sobre, industrieux, énergique : il sera en même temps audacieux. Il connaîtra les hommes et s'en fera haïr. Il saura rogner les salaires et faire monter les prix. Jamais de repos, jamais de délassement, le travail obstiné d'un bout de l'année à l'autre. Pas de vacances ! En un mot, ce que je cherche, c'est un autre moi-même. »

 

À la même époque, un rédacteur du Figaro l'aperçoit lors d'une réception à Los Angeles. « Sous un capuchon de bure, il semblerait un vieux moine de l'Inquisition, comme on en voit dans les musées espagnols », note le journaliste, avant d'interroger une connaissance du directeur de la Standard Oil :

«  On le dit avare ?

– Avare ? Il a donné 30 millions à l'université de Chicago, entre autres. Mais il se refuse aux pourboires, parce qu'il ne trouve pas que ce soit juste. Il paye ce qu'il doit payer, et c'est tout. Il n'aime pas gâcher l'argent. Il met autant d'attention à une dépense de 100 francs qu'à une dépense de 10 millions [...].

– On le dit impitoyable en affaires ?

– Il est exact. Ce qui est dû est dû. »  

 

Le Matin calcule en 1906 que Rockefeller gagne « 500 000 francs par jour, c'est-à-dire 20 833 francs 33 centimes par heure ». La même année, un envoyé de L’Écho de Paris le rencontre à Compiègne, en pleine partie de golf (une de ses seules distractions) :

 

« Un vieillard parcimonieux et glabre, absolument glabre. Il économise même la peine de se raser. Ses cheveux grisonnants sont ceux d'une perruque [...]. La voix est douce, monocorde, un peu sourde. Point de passions chez cet homme, à l'exception de celle de l'argent. Elle a dompté les autres.

 

Méchant ? Non. Fier ? Encore moins. Très poli, très amène. Parlant, peu toutefois, et plus disposé à questionner qu'à répondre... Je ne sais pourquoi, il fait songer à une pièce de monnaie, usée, polie, patinée. La frappe est effacée ; on ne distingue plus grand'chose. Ce n'est que de l'or. »

 

Un autre journaliste lui demande ce qu'il « trouve de plus intéressant en France ». La gastronomie ? Le vin ? Les arts ? Les paysages ? Réponse :

 

« Ce que j'admire surtout et ce qui m'intéresse le plus, c'est l'économie du peuple français. On la voit partout, et c'est, à mon avis, la plus grande qualité qu'un peuple puisse avoir.

 

Chez nous, en Amérique, le peuple dépense beaucoup trop facilement son argent. Chez vous, au contraire, chaque paysan économise : c'est ce qui vous donne une force énorme, et je serais heureux de voir le paysan américain prendre exemple sur le paysan français. »

 

Rockefeller aime les Français, mais les Français n'aiment pas Rockefeller. L’Ouest-Éclair le constate en 1908 : « L'or est fatalement associé à la haine. Beaucoup de personnes haïssent Rockefeller, le considèrent comme un égoïste forcené, comme le type de la ploutocratie absolue ».

 

Pourtant, en bon philanthrope, il donne énormément : laboratoires, universités, écoles, musées, hôpitaux... Il offrira même deux millions de dollars à la Cité universitaire de Paris et fournira la somme nécessaire à la restauration du château de Versailles. La Lanterne n'est pas convaincue :

 

« Cette profession de philanthropie tardive ne constitue, répétons-le, qu'une menace sociale pour les États-Unis. Un homme aurait passé toute sa vie depuis la prime jeunesse jusqu'à l'extrême vieillesse, à guetter comme l'araignée les victimes dont il médite de faire sa proie.

 

Pendant de longues années il se serait ainsi gorgé d'or, et après avoir joui du fruit de ses vilenies, il n'aurait, pour avoir droit à la justification de ses actes devant ses contemporains et devant la postérité, qu'à se proclamer l'organisateur de la bienfaisance [...].

 

Les victimes écrasées par milliers ne pourraient élever aucune plainte et devraient au contraire célébrer la gloire de celui qui les aurait pressurées. »

 

C'est à son fils, John Rockefeller Junior, qu'il confiera la tête de la Standard Oil. L'héritier a été élevé à la dure, comme le signale Paris-Soir en 1936 :

 

« L'homme le plus riche d'Amérique, pour ne pas dire du monde, n'avait qu'une terreur, celle de voir son fils dilapider son argent en vains plaisirs. Aussi s'empressa-t-il de lui inculquer dès son jeune âge de solides principes.

 

— Sur toute somme encaissée, il faut économiser 10 pour cent, donner dix pour cent aux pauvres et dépenser le reste intégralement.

 

Ceci dit, M. Senior fit quitter l'école à M. Junior et le fit travailler de ses mains tour à tour comme bûcheron, comme balayeur et comme violoniste. »

 

À la mort de Rockefeller Senior, en 1937, L’Écho de Paris résumera la philosophie du défunt :

« Il professait, comme il le déclarait plus d'une fois, que c'est “un devoir religieux” de gagner tout l'argent qu'on peut, de garder tout ce qu'on peut et de donner tout ce qu'on peut. »

John D. Rockefeller est considéré comme l'homme le plus riche de tous les temps : sa fortune dépassa le milliard de dollars de l'époque. Soit entre 300 et 350 milliards de dollars actuels.