Écho de presse

Les « endormeurs », rocambolesques malfaiteurs au chloroforme

le 29/06/2019 par Marina Bellot
le 15/05/2018 par Marina Bellot - modifié le 29/06/2019
Illustration montrant une femme inhalant du chloroforme, circa 1870 - source : Bibliothèque universitaire Paris-Descartes

Au début du XXe siècle, les journaux se font l’écho de la recrudescence d’ « endormeurs » qui détroussent leur proie après l’avoir plongée dans un profond sommeil à l’aide de narcotiques en vente libre... 

Plonger sa victime dans un sommeil foudroyant, la dévaliser et déguerpir : telle était la spécialité des endormeurs, ces rocambolesques malfaiteurs qui apparaissent à la fin du XIXe siècle en France. 

C’est d'abord dans les trains qu'ils commettent leurs larcins. Un voyageur isolé et le tour est presque joué : l'endormeur place violemment un mouchoir de chloroforme sur le visage de sa victime ; l'effet est presque instantané. Il n’y a plus qu'à dévaliser tranquillement sa proie devenue parfaitement inoffensive, puis à descendre l'air de rien à la station suivante.  

En 1889, le chef d’une bande d’endormeurs est arrêté. La Croix décrit leur ingénieux procédé :

« Leur spécialité consistait à voyager dans les express et les trains de luxe où l'on recherchait les compartiments ne contenant qu’un voyageur. On liait connaissance, on finissait par offrir un cigare à son compagnon qui s’endormait en le fumant et on le dépouillait sans difficulté. [...]

La préparation des cigares se faisait en injectant un peu de chloroforme ou de morphine à l’intérieur, de façon qu’aucun mauvais goût ne se sentît aux lèvres [...].

Le vol au narcotique devient aussi à la mode que les bombes. »​

Au début du XXe siècle, il ne se passe pas un mois sans qu’un nouveau cas soit rapporté par la presse. Entre-temps, les grands hôtels sont devenus les lieux de prédilection de ces singuliers malfaiteurs.

En 1906, un aventurier « rastaquouère » connu sous le nom de prince Rodolphe Tchillendo est arrêté à Paris. L’homme, haut en couleur, s’était fait une spécialité de détrousser de riches étrangères qu’il endormait de la façon la plus galante, comme le rapporte le quotidien La France :

« Négligemment, il entrait au salon de lecture ou dans le hall quand il y voyait une femme seule plongée dans la lecture d’un journal ou l’ennui de la solitude. 

Il s’asseyait près d’elle, essayait de lier conversation et dès qu’il avait obtenu un mot ou un sourire il sortait et rentrait bientôt avec quelques fleurs qu’il offrait le plus galamment du monde. Comment refuser des fleurs ?

Mais à peine cette femme avait-elle respiré la rose ou l’œillet qu’elle se sentait prise de somnolence. Elle se retirait pour rentrer dans sa chambre, gardant les fleurs à son corsage, et s’endormait profondément à peine rentrée chez elle.

Le prince n’attendait pas le réveil : il entrait et faisait main basse sur les bijoux, même sur ceux que portait la victime endormie.

Inutile de dire que les fleurs étaient tout simplement chloroformées. »

En 1907, la presse se fait l'écho d'un nouveau coup de filet sur un endormeur multirécidiviste :  

« Un certain nombre de grandes dames françaises et étrangères avaient été victimes de vols plus ou moins considérables commis avec la plus grande audace dans les villes d'eaux où elles s'étaient rendues cet été.

Ces dames recevaient souvent de magnifiques bouquets de provenance inconnue. Mais à peine y avaient-elles mis le nez qu'elles se sentaient prises soudain d'une envie de dormir irrésistible.

Attribuant le fait à une cause toute naturelle, nerfs ou température, elles se retiraient alors chez elles et cédaient au sommeil. Mais en se réveillant elles constataient avec stupéfaction qu'elles avaient été dépouillées de leurs bijoux et de toute somme d'argent. »

Plus inquiétant encore, des cas d'enlèvements purs et simples commencent à être recensés... 

 « Le chloroforme ne sert pas qu'à voler de l’argent et des bijoux : il sert aussi à enlever de jeunes filles [...].

Il y a trois jours, une jeune fille de dix-huit ans, dont les parents tiennent boutique rue Saint-Honoré, et sont fort estimés, sortait du Métropolitain, place de l'Étoile, revenant du Sacré-Cœur de Montmartre où elle était allée faire ses dévotions.

Très honorable, incapable de laisser prise au moindre soupçon, cette jeune fille se disposait à rentrer chez elle quand elle se sentit maîtrisée par un bras puissant en même temps qu’on lui mettait un mouchoir chloroformé sur le visage. Il était dix heures et demie du matin. Elle ne reprit ses sens, dit-elle, qu’à midi moins un quart, sur un banc, en face de la même station du Métropolitain, place de l’Étoile [...].

Ce qui paraît certain, c’est que cette malheureuse aurait été victime de misérables restés inconnus. »

Avec les grandes avancées de la médecine à la suite de la Première Guerre mondiale, les empoisonnements deviendront de plus en plus facilement décelables ; traqués, les endormeurs finiront peu à peu par disparaître.