Trois dimensions méritent notre attention lorsque nous souhaitons faire parler un document : son format, son contenu et son contexte. Les caractéristiques d’un tirage photographique, telles que sa taille, son épaisseur, le papier, les coins, le verso, la typographie, etc. sont, par exemple, des éléments-clés pour dater la prise de vue.
De même, le contenu d’un papier de famille est capital, qu’il s’agisse des tenues, du décor ou de l’arrière-plan d’une photographie ou d’une carte postale ancienne, ou encore des noms, dates, lieux et événements cités dans un document écrit. Enfin, les éléments de contexte tels que l’origine du papier de famille (nom du détenteur, lieu de conservation, etc.) sont souvent décisifs. Or, comme nous l’avons déjà constaté au gré de diverses enquêtes relatives à des photos ou des cartes postales anciennes, la presse peut s’avérer un allié précieux pour inscrire un document dans son contexte familial et l’associer à des personnes précises. Etayons notre thèse à travers un nouveau cas concret.
A l’origine de cette enquête, une simple carte de visite. Elle présente l’inscription suivante :
« Choubry Frères / Maison fondée en 1888 / Avize (Marne) ».

Piqués par la curiosité, tâchons d’en apprendre davantage sur cette entreprise. Où était-elle implantée ? Quelle a été sa période d’activité ? Qui sont les deux frères fondateurs ? A quelle famille appartenaient-ils ? Pour obtenir des éléments de réponse, tournons-nous vers les journaux de l’époque, avec, dans notre besace, quelques précieux mots-clés à combiner à notre guise : Choubry, frères, Avize, champagne.
Une fois n’est pas coutume, recourons aux guillemets dans la recherche simple en saisissant « Choubry frères ». Une telle requête est équivalente à l’emploi du critère « Cette expression » de la recherche avancée. Et pour cause, la saisie de guillemets permet de restreindre la recherche à une « expression », c’est-à-dire à une combinaison exacte de mots-clés, dans l’ordre précis retenu. Cette approche est souvent déconseillée car trop restrictive. En effet, la requête « Choubry frères » ne renverra aucun article de journal contenant « frères Choubry ». Idem pour « Jean Choubry » versus « Choubry Jean ». Néanmoins, dans ce cas concret, « Choubry frères » est tout à la fois une marque, un label commercial et le nom d’une entreprise. Son intitulé devrait donc être fidèlement inscrit sur chaque document et dans chaque article de journal. De fait, cette recherche renvoie 31 résultats, que nous trions par « Date croissante » à l’aide du menu situé en haut à droite par rapport aux vignettes de résultats.
La mention « Choubry frères, Avize (Marne) » apparaît pour la première fois dans RetroNews dans La Vie moderne du 10 janvier 1892. L’entreprise fait alors partie des premiers adhérents au musée commercial, sans plus de détails. Le deuxième résultat, paru 11 ans plus tard dans Le Vélo du 14 février 1903, n’est guère plus instructif.
Les nombreuses vignettes suivantes, extraites des journaux La Loi et Le Droit de 1908 sont prometteuses. Il y est question de transcriptions de jugements entre plusieurs commerçants dont « Choubry frères ». Hélas, il s’agit d’une fausse alerte, à une lettre près : les frères Choubry ne sont pas fabricants de « vins » mais de « vis »… L’entreprise familiale resurgit 7 ans plus tard dans L’Indépendant rémois du 18 août 1910. L’entreprise prête 1 000 francs, sans intérêt, afin d’aider à la lutte contre la pyrale et la cochylis qui attaquent les vignes d’Avize et de Cramant. Le même journal publie le 24 août 1911 une annonce quelque peu sibylline :
« MM. CHOUBRY Frères, négociants en vins de Champagne, à Reims, nous prient d’insérer que, contrairement à certains bruits répandus, ils n’ont jusqu’ici contracté aucun achat en vue des vendanges prochaines, et ni offert de prix, soit directement ou indirectement, dans aucun pays. »
Tenons-le-nous pour dit ! La « maison » est donc à présent implantée à Reims. C’est à partir de cette date que les coupures de presse deviennent véritablement intéressantes. L’Indépendant rémois du 14 novembre 1911 annonce ainsi la mort de Paul-Hubert-Nicolas Choubry, négociant en vins de Champagne :
Comme nous le découvrirons par la suite, Paul n’est autre que l’un des frères Choubry fondateurs de « Choubry Frères ». Il décède, sans enfant, à 55 ans au 47, rue Jeanne d’Arc à Reims. Ses proches parents y sont listés :
- Son frère Eugène Choubry, sa femme et ses enfants.
- Son frère Henri Choubry, sa femme et ses enfants.
- Son frère Arthur Choubry, sa femme et ses enfants.
- Sa tante, veuve Nicolas Péhose.
- Sa cousine Madame Bernard-Péhose et sa fille.
Le journal Comoedia du 1er mai 1913 donne à voir une annonce publicitaire du champagne éponyme Comoedia, produit par Choubry Frères.

Le même journal nous rappelle, le 30 décembre 1913 qu’il en faut peu pour être heureux :
« Il faut : pour être heureux et voir la vie en rose, boire chaque jour du Comoedia Champagne dont Choubry frères, à Reims, sont les propriétaires. »
D’autres annonces publicitaires s’égrènent au fil des journaux, ainsi qu’une offre d’emploi dans L’Intransigeant du 28 mai 1936 qui laisse entrevoir une esquisse des bouteilles du champagne Choubry Frères :

Parmi tous les résultats proposés, le plus riche du point de vue généalogique est sans conteste cet extrait du Bulletin des annonces légales obligatoires à la charge des sociétés financières du 5 mai 1930 :
« M. Arthur Choubry, négociant, demeurant à Reims, rue de Courlancy n° 48, successeur et seul propriétaire de la maison Choubry frères, et son fils M. François Choubry, demeurant même adresse » s’associent à un nom bien connu du Champagne, M. le vicomte Paul-Pierre-Thierry Ruinart de Brimont. La famille Choubry investit 575 000 francs dans la société et détient ainsi 38,3% des actions. Arthur Choubry est d’ailleurs le président du conseil d’administration et est indiqué « demeurant à Paris, 116, faubourg Saint-Honoré, élisant domicile au siège de la société, 12, avenue de la Grande-Armée, Paris ».
Les termes « Arthur », « négociant », « Courlancy », « Eugène », « Henri », etc. viennent ainsi s’ajouter à la liste des mots-clés susceptibles de nourrir le moteur de recherche. Relançons tout simplement notre enquête avec les termes « champagne Choubry ». 138 résultats sont proposés. La plupart font référence à des annonces publicitaires parues dans le journal Comoedia, que nous pouvons exclure à l’aide de la recherche avancée (réservée aux abonnés). Il suffit de renseigner « Tous ces mots : champagne Choubry » et « Exclure Titre de presse : Comoedia ». Le nombre de résultats tombe à 6. Une seule coupure de presse, publiée dans La Journée industrielle du 27 janvier 1931 est instructive :
« LIQUIDATIONS JUDICIAIRES […]
REIMS. – 20 janvier. – Choubry (Arthur), négociant en vins de Champagne, à Reims, 48, rue de Courlancy. »
Cette liquidation résulte-t-elle de son association avec Ruinart huit mois plus tôt ? Aucun éclaircissement n’est donné par les journaux consultés sur RetroNews.
La société « Choubry Frères » étant initialement implantée à Avize, tentons la combinaison « Choubry Avize ». 6 résultats s’en dégagent dont un nouveau, paru dans Le Progrès de la Côte-d’Or du 27 février 1912. Eugène Choubry, un des quatre frères, négociant à Avize, s’associe à Paul-Hubert Labouré pour constituer une société de commerce de vins mousseux nommée « Labouré-Gontard » et implantée à Nuits-Saint-Georges (21), rue de Beaune, n° 21. Eugène apporte 200 000 francs en capital et détient ainsi 25% des parts. Ce nouvel extrait de journal atteste de l’aisance financière et de l’esprit entrepreneurial de la famille Choubry.
La saisie des termes « négociant Choubry » délivre également 6 résultats, dont 2 complémentaires. Le premier est une simple mention du décès de « Paul-Nicolas Choubry, 55 ans, négociant, rue Jeanne d’Arc, 47 » figurant dans la rubrique « Etat Civil de la Ville de Reims » de L’Indépendant rémois du 15 novembre 1911. Le second est une précieuse annonce du décès d’Eugène, parue dans Le Progrès de la Côte-d’Or du 18 avril 1918, qui dresse un bref récapitulatif de sa vie et évoque les causes de sa mort :
La saisie des mots-clés « Eugène Choubry » nous gratifie de deux résultats complémentaires. Le premier, issu du même journal en date du 13 février 1918, rend publique la dissolution de la société créée six ans plus tôt avec Hubert Labouré. Eugène a-t-il récupéré sa mise pour monter sa propre maison en Champagne comme l’évoque sa nécrologie ? Le deuxième est postérieur à son décès de deux ans ! Le journal Le Bien du peuple de Bourgogne du 22 août 1920 nous livre une touchante anecdote :
« NUITS-SAINT-GEOREGES.
– Un beau geste. – M. Eugène Choubry, qui était entré en 1890 à la maison Labouré-Gontard, et petit à petit y avait gravi tous les grades, conquis tous les cœurs, et, en 1918, était devenu le collaborateur de M. Hubert Labouré, a, en mourant, légué aux ouvriers de la maison la jolie somme de 15 000 fr. »
Si la recherche des termes « Choubry Nuits », « Henri Choubry » et « Paul Choubry » ne nous apprend rien de plus, la combinaison « Arthur Choubry » est plus fructueuse. Au-delà des diverses mentions d’un homonyme boucher-charcutier, trois coupures de presse viennent nourrir notre enquête :
- Le compte-rendu des obsèques d’Elphège Péhose à l’âge de 76 ans (L’Indépendant rémois du 17 septembre 1907). Il est l’oncle des frères Choubry. Ce détail, rapproché de l’avis de décès de Paul Choubry, laisse penser que la mère des négociants Choubry était née Péhose.
- Le compte-rendu des obsèques dudit Paul Choubry, rapporté dans L’Indépendant rémois du 16 novembre 1911. La couronne est offerte par le personnel de la maison « Choubry frères ».
- Les remerciements successifs aux obsèques, parus dans le même journal le lendemain. Le nom du beau-frère Alfred Villemain y est ajouté.
Nous pourrions ainsi poursuivre l’enquête en multipliant les habiles combinaisons de mots-clés soigneusement sélectionnés. Mais ces quelques coupures de presse n’illustrent-elles pas abondamment la richesse de la presse ancienne ? Ne répondent-elles pas aux questions initiales et ne satisfont-elles pas notre curiosité ?
Ce cas d’école atteste, une nouvelle fois, dans quelle large mesure les journaux anciens permettent de décrypter nos papiers de famille en leur adossant un précieux contexte spatio-temporel.
N.B. Voici en bonus la publication de la formation de la société « Choubry Frères » dans Le Nord-Est du 29 décembre 1888 :

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Passionné de généalogie depuis l’âge de douze ans, Tony Neulat est rédacteur dans La Revue française de généalogie et membre de la European Academy of Genealogy. Il partage, depuis 2009, son expérience et ses conseils à travers ses publications et ses formations. Il est également auteur des guides Gallica et RetroNews : deux eldorados généalogiques, Retrouvez et identifiez toutes vos photos de famille, Retrouver ses ancêtres à Malte et Trouver des cousins inconnus ou perdus de vue.