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Coup d'État du futur Napoléon III : la presse immédiatement censurée

le 01/12/2023 par L'Émancipation
le 21/03/2023 par L'Émancipation - modifié le 01/12/2023

À la suite du Coup d'État de Louis-Napoléon Bonaparte, bientôt Napoléon III, le périodique républicain L’Émancipation se voit lourdement entravé. Suite à ses prises de position la chute du journal semble inexorable : il cessera de paraître au mois de janvier suivant.

Le 20 décembre 1848, Louis-Napoléon Bonaparte, neveu de l’Empereur Napoléon Ier, est élu président de la Deuxième République. Après trois ans passés au pouvoir, son mandat arrive à son terme et la Constitution lui interdit de se représenter.

Le 2 décembre 1851, le futur Napoléon III organise ainsi un Coup d’État : l’Assemblée nationale est dissoute, les chefs de l’opposition parlementaire sont emprisonnés, une nouvelle Constitution est rédigée… Le 10 décembre, le journal républicain du Midi L'Émancipation revient sur les événements dans un édito indigné et largement censuré ; le rédacteur, avocat de son état, évoque notamment l'impossibilité de faire paraître le numéro du 5 décembre, de même que sur la présence de policiers et de militaires dans les locaux et l'imprimerie du titre de presse.

Victime de la censure imposée par le nouveau régime, L'Émancipation disparaîtra un mois plus tard. L'année suivante, le 2 décembre 1852, Bonaparte sera sacré Empereur des Français sous le nom de Napoléon III.

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TOULOUSE, 9 DÉCEMBRE

Dans notre numéro du 5, saisi par ordre supérieur, nous disions au public :

« Nous ne sommes pas journalistes mais nous sommes gens de cœur et d’honneur, nos amis sont incarcérés ou forcés de fuir ; nous ne les remplacerons pas, nous les suppléerons momentanément, et le drapeau de la démocratie ne sera pas abaissé par nous. »

Depuis lors la police a mis la main sur le journal, les scellés sur les presses, et nos bureaux, notre imprimerie, notre logement ont été occupés militairement. Nous avions promis de ne pas châtrer les nouvelles qui nous arriveraient, et nous avons mieux aimé nous résigner au silence : ce n'était pas trop d'ailleurs de quatre jours de deuil et de recueillement.

Aujourd’hui nous reprenons notre œuvre interrompue ; mais que nos lecteurs sachent bien que nous leur écrivons sous l'œil de l'autorité, et que nous ne sommes, jusqu'à des temps meilleurs, que l'écho des nouvelles officielles, les seules qui puissent désormais arriver.

Les seuls journaux qui nous parviennent sont Le Constitutionnel, les Débats et la Patrie ; force nous est d’emprunter leurs colonnes. Nos correspondances particulières n’arrivent plus jusqu’à nous, et l’autorité ne veut nous laisser paraître qu’à la condition de revoir et de corriger nos épreuves . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . , nous allons, sans commentaires, inscrire dans nos colonnes, un à un, tous les actes officiels qui se sont produits, . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

E. Lapeyrie, avocat.

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Nos amis en prison attendent avec calme l’heure de la justice ; leur santé ne doit donner aucune inquiétude à ceux qui les connaissent.

E. Lapeyrie, avocat.

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ACTES OFFICIELS

« Au nom du Peuple français, le président de la République décrète :
« Art. 1er. L’assemblée nationale est dissoute.
» Art. 2. Le suffrage universel est rétabli. La loi du 31 mai est abrogée.
» Art. 3. Le Peuple français est convoqué dans ses comices, à partir du 14 décembre jusqu’au 21 décembre suivant.
» Art. 4. L’état de siège est décrété, dans l’étendu de la 1ère division militaire.
» Art. 5. Le conseil d’État est dissous.
» Art 6. Le ministre de l’Intérieur est chargé de l’exécution du présent décret.
» Fait au Palais de l’Élysée, le 2 décembre 1851.
    » Louis-Napoléon BONAPARTE.
         » Le Ministre de l’intérieur,
              » DE MORNY

PROCLAMATION DU PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

Appel au Peuple.

    Français !

La situation actuelle ne peut durer plus longtemps. Chaque jour qui s'écoule aggrave les dangers du pays. L'Assemblée, qui devait être le plus ferme appui de l'ordre est devenue un foyer de complots. Le patriotisme de 300 de ses membres n’a pu arrêter ses fatales tendances. Au lieu de faire des lois dans l'intérêt général, elle forge des armes pour la guerre civile ; elle attente au pouvoir que je tiens directement du peuple, elle encourage toutes les mauvaises passions ; elle compromet le repos de la France : je l'ai dissoute, et je rends le peuple entier juge entre elle et moi.

La Constitution, vous le savez, avait été faite dans le but d'affaiblir d’avance le pouvoir que vous alliez me confier. Six millions de suffrages furent une éclatante protestation contre elle, et cependant je l'ai fidèlement observée. Les provocations, les calomnies, les outrages m'ont trouvé impassible. Mais aujourd'hui que le pacte fondamental n’est plus respecté de ceux-là mêmes qui l'invoquent sans cesse, et que les hommes qui ont déjà perdu deux monarchies veulent me lier les mains afin de renverser la République, mon devoir est de déjouer leurs perfides projets, de maintenir la République et de sauver le pays en invoquant le jugement solennel du seul souverain que je reconnaisse en France, le peuple.

Je fais donc un appel loyal à la nation tout entière, et je vous dis : Si vous voulez continuer cet état de malaise qui nous compromet et dégrade notre avenir, choisissez un autre à ma place, car je ne veux plus d'un pouvoir qui est impuissant à faire le bien…..

» Si, au contraire vous avez confiance en moi, donnez-moi les moyens d’accomplir la grande mission que je tiens de vous…..

» Persuadé que l’instabilité du pouvoir, que la prépondérance d’une seule assemblée sont des causes permanentes de trouble et de discorde, je soumets à vos suffrages les bases fondamentales suivantes d’une Constitution que les assemblées développeront plus tard.

» 1° Un chef responsable nommé pour dix ans ;
» 2° Des ministres dépendants du pouvoir exécutif seul ;
» 3° Un conseil d’État formé des hommes les plus distingués, préparant les lois et en soutenant la discussion devant le corps législatif ;
» 4° Un corps législatif discutant et votant les lois, nommé par le suffrage universel, sans scrutin de liste qui fausse l’élection.
» 5° Une seconde Assemblée formée de toutes les illustrations du pays, pouvoir pondérateur, gardien du pacte fondamental et des libertés publiques.

» Ce système crée par les premiers consuls au commencement du siècle, a déjà donné à la France le repos et la prospérité ; il les lui garantirait encore…..

» Si je n’obtiens pas la majorité de vos suffrages, alors je provoquerai la réunion d’une nouvelle Assemblée, et je lui remettrai le mandat que j’ai reçu de vous.

» Mais si vous croyez que la cause dont mon nom est le symbole, c’est-à-dire la France régénérée par les Révolutions de 89 et organisée par l’Empereur, est toujours le vôtre, proclamez-le en consacrant les pouvoirs que je vous demande.

» Alors, la France et l’Europe seront préservées de l’anarchie, les obstacles s’aplaniront, les rivalités auront disparu, car tous respecteront, dans l’arrêt du peuple, le décret de Providence.

» Fait au Palais de l’Élysée, le 2 décembre 1851.

» Louis-Napoléon BONAPARTE

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Proclamation du président de la République à l’armée.

    » Soldats,

» Soyez fiers de votre mission, vous sauverez la patrie, car je compte sur vous, non pour violer les lois, mais pour faire respecter la première loi du pays : la souveraineté nationale, dont je suis le légitime représentant.

» Depuis longtemps vous souffriez comme moi des obstacles qui s'opposaient, et au bien que je voulais faire et aux démonstrations de vos sympathies en ma faveur. Ces obstacles sont brisés.

» L’Assemblée a essayé d’attenter à l’autorité que je tiens de la nation entière, elle a cessé d’exister.

» Je fais un loyal appel au peuple et à l’armée, et je leur dis : Ou donnez-moi les moyens d’assurer votre prospérité, ou choisissez un autre à ma place.

» En 1830, comme en 1848, on vous a traités en vaincus. Après avoir flétri votre désintéressement héroïque, on a dédaigné de consulter vos sympathies et vos vœux, et cependant vous êtes l’élite de la nation. Aujourd’hui, en ce moment solennel, je veux que l’armée fasse entendre sa voix.

» Votez donc librement comme citoyens ; mais, comme soldats, n’oubliez pas que l’obéissance passive aux ordres du chef du gouvernement est le devoir rigoureux de l’armée, depuis le général jusqu'au soldat.

» C’est à moi, responsable de mes actions devant le Peuple et devant la postérité, de prendre les mesures qui me semblent indispensables pour le bien public.

» Quant à vous, restez inébranlables dans les règles de la discipline et de l'honneur. Aidez, par votre attitude imposante, le pays à manifester sa volonté dans le calme et la réflexion.

» Soyez prêts à réprimer toute tentative contre le libre exercice de la souveraineté du peuple.

» Soldats, je ne vous parle pas des souvenirs que mon nom rappelle. Ils sont gravés dans vos cœurs. Nous sommes unis par des liens indissolubles. Votre histoire est la mienne. Il y a entre nous, dans le passé, communauté de gloire et de malheur.

» Il y aura dans l’avenir, communauté de sentiments et de résolution pour le repos et la grandeur de la France.

» Fait au Palais de l’Élysée-National. le 2 décembre 1851.

    » Signé : L.-N. Bonaparte. »