Poète, historien, philologue, critique, romancier, professeur de réputation mondiale et orateur éloquent, Miguel de Unamuno est aussi, vu de France, « un grand cœur, d’une probité indiscutable et indiscutée ». Doyen de la faculté et titulaire de la chaire de grec ancien à la prestigieuse université de Salamanque, « ville toute en or dans un ciel de légende », écrivain à la plume mystique et mélancolique mais aussi « agitateur », le Basque est la sommité littéraire hispanophone.
Au monde, il a permis une redécouverte du magnum opus de Cervantès, Don Quichotte. La France le chérit depuis ses déclarations francophiles reprochant à l’Espagne sa neutralité ; Le Siècle se désole que le prix Nobel 1922 ait été attribué à son compatriote germanophile Jacinto Benavente, plutôt qu’au républicain francophile.
Son intercesseur français est une femme, qui se cache sous le pseudonyme d’André Corthis, alias Andrée Magdeleine Husson, elle-même distinguée par plusieurs prix littéraires. C’est auprès d’elle que Le Gaulois s’enquiert du maître espagnol.
L’Espagne vit alors des heures sombres. Après une succession de crises, un général, Miguel Primo de Rivera a pris le pouvoir, « à l’espagnole », par un pronunciamento initié le 13 septembre 1923 à Barcelone. Comme hier les légions romaines acclamaient « leur » empereur, l’armée espagnole s’est « prononcée » ; le politique est prié de s’y conformer. Sauf que le roi Alphonse XIII s’est également « prononcé » en faveur du militaire. Les Cortès sont dissoutes, et le général promit naturellement de « régénérer » l’Espagne.
La colossale défaite coloniale subie à Anoual par l’armée espagnole face aux Marocains conduits par Abdelkrim (10 000 morts, 700 prisonniers…) a fait plier sans coup férir une société espagnole très fragmentée. C’est un directoire militaire qui exerce désormais le pouvoir, tandis que le nouveau César, inspiré par le régime mussolinien, entreprend de réformer le pays en muselant les oppositions.
Parmi les opposants bâillonnés figure un nom célèbre : Miguel de Unamuno, qui n’a jamais caché ses critiques envers le roi et préside la républicaine Ligue des Droits de l'Homme espagnole. Par une lettre rendue publique dont le contenu avait galvanisé les adversaires du régime militaire, l’intellectuel fut déporté – c’est-à-dire éloigné et assigné à résidence – sur l’île inhospitalière de Fuerteventura, comme le résumait Les Cahiers des droits de l’Homme à ses lecteurs :
« L’île de Fuerte-Ventura où est exilé le maître Unamuno, est une petite île des Canaries d’un climat suave en apparence, mais en réalité fort malsain.
Les fièvres typhoïdes et le paludisme y règnent constamment. Les indigènes eux-mêmes s’expatrient et ne peuvent y vivre […]
Il n’y a pas d’eau potable, car il n’y pleut jamais depuis nombre d’années et l’on y manque des objets les plus élémentaires. M. de Unamuno a près de soixante ans, il y a lieu de craindre qu’un exil, s’il se prolonge, ne lui coûte la vie. »
Unamuno n’a pas été le seul banni par décret. Rodrigo Soriano, journaliste, critique d’art et socialiste réputé, le suit dans son exil insulaire. Paris-Soir le décrit comme « quelque chose comme un Rochefort espagnol ».
A l’instar d’autres titres, Paris-Soir reproduit dans ses colonnes la fameuse lettre d’Unamuno adressée à un journal argentin, qui lui a valu les foudres royales. Et l’exilé de prendre le monde à témoin, dans une autre lettre publiée par L’Ère Nouvelle :
« Puerto Cabras de Fuerteventura.
Ils m'ont déporté en cette ile lointaine, assoiffée, sans me faire connaître la raison de cette mesure, sans instruction ni possibilité d’arbitrage, parce que je suis l'adversaire le plus irréductible de cette dictature imbécile dont le régime encanaille l'Espagne.
Qu’est-ce que cela signifie, sinon la revanche des germanophiles de 1917 […]. »